Chapitre 5: Départs

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"Nul ne sait jamais

Si l'homme regarde son reflet

Ou si le reflet regarde l'homme."

Fragment de la Prophétie de Tahar, conservée à la Grande Bibliothèque de Rising

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Je ne sais pas comment j'ai réussi à me rendormir. Mais quand j'ouvre à nouveau les yeux le soleil est bien là. Et, assis dans un fauteuil dans un coin de la chambre, mon fiancé m'observe. Je sursaute et m'assied. Je me dis que je dois donner la un beau spectacle. Avec ma robe verte chiffonnée et mes cheveux défaits. Mais Kyrrth ne semble pas s'en soucier. Il ne semble pas avoir dormi non plus. Engoncé dans son uniforme, il a l'air épuisé et ses yeux sont cernés.

Pendant un moment, nous nous observons en chiens de faïence. Quelques secondes passent, qui semblent être des heures. Aucun de nous ne parle. On se regarde. Je remarque chaque détail de son visage. Il a une petite cicatrice sur le menton. Elle m'avait échappé. Ses yeux me fixent, et je me demande ce qu'il voit quand il me regarde. Sa fiancée imposée. Un moucheron insignifiant. Un boulet qu'il devra traîner. Quand il se met à parler je sursaute presque.

- Nous partons pour La Sentinelle demain.

Ce n'est pas une question. Un ordre déguisé. C'est surprenant et totalement inédit. La future épousée est censée passer les derniers six mois avant son mariage au Gynécée, ou elle subit une préparation intensive au mariage. Même si j'ignore exactement en quoi elle consiste. Parviens à articuler un mot :

- Pourquoi ?

Il ne répond pas tout de suite, se contentant de me fixer. Son visage anguleux a une expression sévère.

Puis il daigne répondre à ma question.

- Des événements récents réclament ma présence constante à La Sentinelle. Avec l'accord du Conseil, j'ai eu l'autorisation de vous emmener avec moi. Vous aurez bien sur vos propres appartements jusqu'au...mariage...

Kyrrth bute sur chaque mot. Je me dis que c'est la plus longue phase que je ne l'ai jamais entendu prononcer. Je puise dans mes réserves de courage et réplique.

- Je dois retourner au gynécée pour la... préparation au mariage. Si je ne la suis pas, je crains fort d'être pour vous une bien mauvaise épouse.

Kyrrth me regarde avec un air intrigué et je comprends que j'ai mal dissimulé ma contrariété. Puis il grimace. C'est presque un sourire, qu'il réprime si vite que je me demande si je n'ai pas rêvé. C'est avec son habituel air impassible qu'il réplique

- L'une des marieuses du Gynécée nous accompagne à La Sentinelle. Pour vous aider dans cette préparation ainsi que pour s'assurer que je ne vous poursuive pas de mes...assiduités.

La présence de la marieuse me rassure un peu. Quant aux assiduités de Kyrrth, marieuse ou pas, je ne m'inquiète pas, on ne peut pas dire que je lui inspire un désir ardent.

Il se lève d'un bond, semblant soudain pressé de quitter la pièce.

- Soyez prête pour huit heures demain matin.

Et c'est tout. La politesse de Kyrrth laisse également à désirer. Je ne m'en offusque pas, ça a toujours été le cas. Je me lève, et je pars a la recherche de mes chaussures, et de mon étole, qui ont été négligemment jetées sur le parquet. Un coup d'œil dans le miroir m'apprend que mes boucles brunes sont dans un désordre indescriptible. Ne trouvant pas de brosse je tente d'y remettre un peu d'ordre avec mes doigts, sans grand succès, puis j'abandonne et sors dans le couloir. Je longe le corridor étroit et sombre. Et, comme à mon habitude, je me perds.

J'ouvre une porte au hasard, et comprends que je suis dans le boudoir d'Elaine. Les aquarelles et les rideaux pastel ne laissent aucun doute. Je sais que je devrais sortir. Au lieu de cela, je regarde les photos posées sur une console. Elaine et Thomas le jour de leur mariage. Un bébé, dont les yeux sombres ne laissent aucun doute sur son identité. Et derrière, une photo d'Elaine jeune, avec trois hommes que je ne reconnais pas. Après une minutieuse observation, je reconnais Thomas, à gauche d'Elaine. L'homme de droite a un air familier. Mais je n'ai pas le temps de regarder attentivement. Une porte claque derrière moi, et de surprise je lâche le cadre et me retrouve face à Elaine. Ses cheveux blonds sont attachés en chignon lâche. Je me détends un peu en m'apercevant qu'elle n'a pas l'air en colère devant mon indiscrétion. Elle me sourit avec gentillesse.

- Pardonnez-moi, madame Galway. Je voulais rentrer au Gynécée et je me suis perdue. Je... je regardais vos jolies photos. Pardonnez-moi, je ne voulais pas être indiscrète.

Elaine secoue la tête

- Il n'y a pas de souci, je t'assure, Samara. Que tu regardes des photos de ta future belle famille est tout à fait normal. A vrai dire je te cherchais. J'ai quelque chose à te donner avant que tu ne rentres au Gynécée.

Elaine me fait signe de la suivre, et j'obéis. Elle ouvre une porte, et je me rends compte que nous sommes dans sa chambre. Un lit de grande dimension, des dizaines de coussins et énormément de livres et de fleurs. Tout y est luxueux. Je parierais que le cadre du miroir immense posé contre un mur est en or ciselé.

Sur le lit un grand carton blanc est posé. Elaine s'en empare, et je remarque que ses mains tremblent. Elle me le tend.

Je suis intriguée en le prenant.

- Mon cadeau de fiançailles pour toi. Je voulais te le donner hier mais... avec ton évanouissement...

La simple mention de ma défaillance ravive les souvenirs de la veille et, a nouveau, la panique s'empare de moi. Mais je me maitrise et parviens a sourire.

- Merci beaucoup, madame Galway. Qu'est ce que c'est?

Elaine sourit .

- Ta robe de mariée, quoi d'autre? Je tenais beaucoup a te l'offrir. Comme cadeau de bienvenue dans la famille.

Et à nouveau, la peur m'envahit.


House of the rising Sun -tome 1- La SentinelleWhere stories live. Discover now