Espérance

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Ça fait deux semaines que je vois Mélanie de temps en temps, pour travailler sur l'exposé. On a fini par réussir à parler, comme ça, parfois. On est pas amies, mais des fois on dit autre chose, autre chose que « comment on dit sophistiqué en anglais », ou « tu t'es arrêtée à la page combien sur le livre ». Non, j'en ai appris un peu plus sur Mélanie, elle aime bien le dessin, elle aime bien l'écologie, elle a un frère qui s'appelle Thibault. Un grand frère. Il est en école de design, à Lille. Il lui manque.

Mais Mélanie n'est pas très bavarde, elle préfère travailler, parce qu'elle se trouve à la traîne en anglais. Et moi, je n'ose pas insister, parce que j'ai peur qu'elle me prenne pour une malade.

« On travaille encore, jeudi ? je demande à Mélanie, on a pas encore fini.

– Mais, tu n'as pas piano le jeudi ? me répond-elle en fronçant légèrement les sourcils. »

Piégée par son propre mensonge, Verte tu es ridicule. J'invente un sourire faux, acquiesce légèrement la tête. Non mais en fait, ma prof m'a appelée pour reporter le cours, parce qu'elle est malade, du coup on peut se voir. Oh, fait Mélanie, d'accord, ben on peut se voir alors. On se retrouve à la bibliothèque à 17h ? Oui, oui, c'est parfait. On va finir l'exposé, ça va être bien.


Alors nous travaillons encore, sur l'anglais. A 18h30, le téléphone de Mélanie sonne, elle s'excuse, elle coupe l'appel. Mais elle envoie des sms, et au vu de ses sourires, je devine qu'elle parle à Sarah, parce que c'est Sarah qui lui fait sortir ces sourires amusés. Mélanie relève vers moi des yeux désolés.

« Excuse-moi, j'avais oublié que je sors, ce soir... On remet ça à un autre jour, pour terminer ?

– Oui, bien sûr, il y a pas de problèmes, je lui réponds avec un sourire que j'espère amical et sympathique. »

Elle sort avec Simon, Sarah et les autres. Je meurs d'envie, je meurs d'espoir. On s'entend bien maintenant Mélanie, hein ? On s'entend bien. Et si tu me proposais de venir ce soir, avec toi ? Moi aussi, je pourrais rencontrer Simon, devenir amie avec lui, et rencontrer Sarah. Je ne fais rien ce soir, je pourrais venir. Propose-moi, s'il te plaît. Je t'en prie Mélanie. Pitié, pitié, pitié. Je ferais tout ce que tu voudras.

« Bon, ben on se revoit demain en cours, alors ! Je suis tellement désolée, me répète-t-elle avec un sourire immense et sincèrement désolé. »

Mélanie range ses affaires, elle met son manteau, elle passe son écharpe.

« Bonne soirée ! Me lance-t-elle. »

Je lui souris pour la remercier, mais j'ai envie de pleurer. Je pense à mes parents qui m'attendent, à mon père qui a sans doute cuisiné un très bon plat, et qui vont être contents de me voir revenue en avance, parce qu'ils pourront manger plus tôt. Je pense qu'ils vont me demander comment s'est passé ma journée, que je vais leur répondre que j'ai bien travaillé. Je pense que ma mère va parler de sa journée au bureau, de ses collègues qui l'agacent, et mon père parlera de la prof de math, sa collègue qui l'agace et qui est insupportable. Ils riront, ils seront contents qu'on se retrouve ensemble pour manger, et moi je me sentirai seule, comme toujours.

Je range mes affaires moi aussi, et je sors de la bibliothèque. Je vois encore Mélanie au loin, elle parle au téléphone, elle rit tellement. Moi j'ai envie de pleurer, de hurler. Je rêve, je rêve.

Je souffre.

Pourtant c'est comme ça que ça se passe dans les livres, non ? L'héroïne rencontre une personne, qui lui ouvre les portes de la popularité, du bonheur et de l'amour. Pourquoi ça a pas marché pour moi ? J'étais prête, je n'attendais que ça. Je ne voulais que ça. Juste une fois, juste une fois être avec des gens, avec un groupe d'amis, juste une fois.

Et le destin vient encore de se foutre de ma gueule avec brio. Bonne soirée, c'est ça ouais, bonne soirée. Si seulement ça pouvait être la dernière que je passe seule.  

Ma vie de Verte, où Dieu aime l'humour noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant