Ma déesse

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Cette fille est une déesse.

Ouais, je sais ce que vous vous dites là : comment elle peut croire qu'il y a des déesses, alors qu'elle a parlé de Dieu avant, le Dieu unique ? Attendez, laissez-moi vous expliquer. D'abord je ne me suis pas encore décidée pour savoir si je croyais ou non en Dieu, c'est juste que le karma semble tellement s'acharner sur moi qu'il faut bien que je trouve un responsable, parce que sinon je vais pas le supporter. Et puis cette fille est vraiment une déesse. Vous ne me croyez pas parce que vous ne connaissez pas encore Sarah.

D'abord, elle s'appelle Sarah. Sarah, princesse en hébreux, fille adorée et unique, tout ça quoi. Ensuite, elle est foutrement belle. Elle a des cheveux noir, qui font des belles boucles, et qui lui arrivent à la taille. Elle a des traits fins, des yeux marron d'un joli marron un peu vert, elle est gentille, intelligente, classe. Tout le monde l'aime, et ceux qui ne l'aiment pas sont juste cons. Elle est magnifique, magique, elle est parfaite.

Je la vois tous les jours, parce qu'elle est dans ma classe. Alors que moi j'essaye toujours de m'asseoir au fond, pour être tranquille et que les profs m'oublient, elle se met au premier ou deuxième rang, toujours. Elle lève la main, elle participe. Elle a des bonnes notes, les profs l'adorent. Et même les élèves l'adorent, parce qu'elle est pas hautaine, elle est pas dédaigneuse. On pourrait se dire ça, hein ? La meilleure élève de la classe qui prendrait de haut les élèves lambda, mais non, ça c'est pas Sarah. Sarah elle aide ses amis en difficulté, elle les fait travailler sans qu'ils se rendent vraiment compte que c'est travailler ce qu'ils font, parce qu'elle rend ça tellement intéressant. Personne ne se moque d'elle en l'appelant l'intello, ou le cerveau, parce que Sarah, elle rend ça classe de travailler et d'avoir des bonnes notes. Parce qu'être doué, c'est un peu devenir aussi bien et cool qu'elle. Sarah, elle est parfaite.

Bon, évidemment là vous êtes en train de vous dire que je me fous de vous. Ben oui : une fille jolie, intelligente, gentille et altruiste, ça existe que dans les romans, hein ? Bah non. Sarah elle existe, vraiment, et elle est tout ça. Elle a quelques défauts, sans doute, mais ils sont insignifiants à côté de sa perfection.

Souvent, quand je regarde Sarah, je me dis que c'est à elle que j'aurais aimé ressemblé. J'aurais aimé, moi aussi, être jolie comme elle, être populaire comme elle. J'aurais aimé que les autres m'aiment comme ils l'aiment. J'aurais aimé avoir toutes ses qualités. J'aurais aimé qu'on m'aie appelée Sarah, moi aussi.

Des fois je rêve que j'ai la même vie qu'elle. Alors moi aussi, je deviens belle, intelligente. J'existe. Les gens me saluent, ils me font la bise, ils me font des compliments sur mes vêtements. Et moi je leur réponds qu'eux aussi sont beaux, qu'on est tous beaux.

Dans ces rêves où je m'appelle Sarah, il y a toujours une fille avec un prénom un peu bizarre, un peu particulier, et qui est tout le temps seule parce qu'elle n'ose pas aller voir les autres. Aujourd'hui, elle s'appelle Cannelle, et elle a la peau d'un brun joli, comme son prénom. Et alors je vais voir cette fille, Cannelle. On devient amies. On s'entend très bien. Grâce à moi, Cannelle trouve l'amour. Elle devient plus belle de jour en jour, parce qu'elle est heureuse. Et grâce à moi aussi, Cannelle accepte son prénom qu'elle n'aimait pas au début, elle accepte son corps, son esprit. Elle s'accepte vraiment, et elle m'apporte beaucoup, elle aussi.

En général, quand je fais des rêves comme ça, je me réveille en pleurant. Je ne sais jamais si c'est des pleurs de joie, parce que je me sens si heureuse, ou des pleurs de tristesse, parce que je sais que c'est une vie que je n'aurais jamais.

On ne m'a pas appelée Sarah, on m'a appelée Verte. Et le pire dans tout ça, c'est qu'une voix au fond de moi ne cesse de me répéter que même si on m'avait appelée Sarah, et que Sarah on l'avait appelée  Verte, j'aurai sans doute été une piètre Sarah, et elle aurait été une excellente Verte. Mais je fais taire cette voix, parce que ce n'est pas vrai, que si seulement je n'avais pas ce prénom, j'aurais pu être quelqu'un de différent, plein de joie de vivre et de bonheur.

Je n'ai pas envie de me lever. Je n'ai pas envie d'aller en cours. Je n'ai pas envie de poursuivre cette vie qui, pour moi, n'a aucun sens. Alors je renfonce ma tête dans mon oreiller, profitant de l'état de torpeur du matin quelques minutes de plus.

Mais finalement, l'envie de voir Sarah me tire du lit. Sarah, et puis Simon.

Ma vie de Verte, où Dieu aime l'humour noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant