Mensonge

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Je sors de cours, encore une journée de passée. Elle est derrière moi maintenant, je vais rentrer, manger, me coucher. On est mercredi, demain on commence à neuf heures, tout le monde se dit au revoir, se fait la bise. Moi je ne salue personne, comme toujours. La seule que je connais un peu maintenant, c'est Mélanie, et Mélanie n'est pas ici. Et de toutes façons j'ai pas été lui reparler, alors je serais juste ridicule. Une fois de plus.

Je remets mon manteau correctement, je sors du lycée. La nuit commence à tomber, il est dix-huit heure, il fait froid. J'ai froid. Je me plante devant l'entrée du lycée, à l'arrêt de bus. Il passe bientôt normalement, j'espère. J'ai pas envie d'attendre longtemps.

Je balaye des yeux les gens qui se trouvent autour de moi, et je remarque Sarah, un peu plus loin, qui discute avec des gens. Elle a la main glissée dans celle d'Arthur, il y a Simon avec elle, ils rient tous les trois. Ils sont si beaux, j'en oublie mon froid, mon attente. Je regarde le visage un peu rougi par le froid de Sarah, les cheveux en bataille et le sourire de Simon, et malgré moi, je souris. Un jour j'oserai, un jour j'irai leur parler, un jour je deviendrai un membre de leur groupe d'amis. Je deviendrai l'amie de Sarah, de la si belle Sarah, et je deviendrai la copine de Simon, du parfait Simon. Perdue au milieu de cette foule anonyme, je rêve à mon futur, ce futur heureux qui m'attend. Je sais qu'il m'attend, je sais qu'il arrivera un jour. Ce serait tellement injuste qu'il n'arrive pas.

Mélanie apparaît soudainement parmi la foule et se jette vers eux, elle aussi sourit, elle sourit tellement. Elle enlace Sarah, lui parle à l'oreille, elles sont belles elles aussi, toutes les deux. Je me rends alors compte que j'ai envie de rencontrer Mélanie plus encore, que j'ai vraiment, vraiment envie de devenir amie avec elle. Pas seulement pour rencontrer Sarah après. Aussi parce que Mélanie est gentille. Elle est plus discrète, elle est moins parfaite, mais elle essaie de l'être, et ça reste beau.

Oui, j'ai envie d'être l'amie de Mélanie, maintenant. Vraiment.

Et si j'allais lui parler ? Et si j'allais lui dire bonjour, comment tu vas, je t'ai vu là-bas, j'attends mon bus, je vais rentrer, bonne soirée ? Des banalités, mais des banalités suffisantes pour que Mélanie comprenne que j'ai envie de me rapprocher d'elle. Que j'ai envie d'approcher son bonheur, de le voir luire à côté de moi comme une petite lanterne. Promis, je ne le toucherai pas, je ne l'abîmerai pas. Je veux seulement la côtoyer, les côtoyer.

Aller, je me lance.

Je fais un pas vers eux. Ça paraît si facile comme ça, mon cœur vibre, mon sang palpite.

Je vais aller parler à Mélanie. Sarah et Simon vont me voir, comme pour la première fois.

J'ai peur, j'ai horriblement peur, mais il faut que je le fasse.

Je fais d'autres pas, des petits pas pleins de timidités, mais je suis sur la bonne voie. C'est bien, Verte. Tu peux le faire. Allez ma grande. Vas-y.


Simon attrape la taille de Mélanie, et enfouie son visage dans son cou, pour lui parler à l'oreille, lui aussi.


Je m'arrête.


Mes yeux s'écarquillent.


Il prend le visage riant et un peu gêné de Mélanie entre ses doigts, et puis simplement, il l'embrasse.

C'est tendre, c'est amoureux. C'est presque timide, comme si ni l'un ni l'autre n'avait envie de partager leur baiser avec tous ceux qui les entourent.

Et puis ils se séparent, et Simon presse le flanc de Mélanie contre le sien, et elle pose sa tête contre son épaule. Contre son manteau. Contre Simon. Mélanie, contre Simon. Simon embrasse Mélanie, Simon est avec Mélanie, Simon aime Mélanie.



Mélanie. Mélanie. Mélanie. C'est impossible. C'est impossible, c'est moi, c'est moi qui devrait être à sa place. C'est injuste, c'est impossible, je ne veux pas y croire. Mes yeux m'ont menti, c'est ça, c'est ma vue qui m'a trompée.


Mon monde s'écroule, ma vie bascule. Simon a embrassé Mélanie.


Ça ne peut pas être la vérité, c'est impossible, je suis dans une réalité autre, dans un monde parallèle. Je rêve, oui je rêve, ce que je vois est un cauchemar, je vais me réveiller. Je vais me réveiller. Il faut que je me réveille.

Mais je ne me réveille pas, et je fixe Mélanie et Simon enlacés, jusqu'à ce qu'ils s'en aillent, tous les quatre. Je reprends mes esprits et me rends compte que mon bus est passé, que je l'ai loupé, mais l'information n'atteins même pas mon cerveau. La vision de Mélanie et Simon collés me fait mal, elle m'arrache le cœur, elle me brûle le cerveau. J'ai envie de penser du mal de Mélanie, j'ai envie de lui faire du mal, j'ai envie qu'elle meure, qu'elle disparaisse. Mais le problème ce n'est pas Mélanie. Le problème c'est moi, c'est moi que Simon ne m'aimera jamais, avec ou sans Mélanie. J'ai mal, j'ai si mal.


Assise à l'arrêt de bus, au milieu de la nuit noire, trop petite dans une foule trop grande, je commence à pleurer silencieusement, cachée derrière mes cheveux châtains. Je suis fatiguée. Jack, emmène-moi, fais-moi découvrir le bonheur avec toi. Mais la réalité me frappe encore : Verte n'est pas Rose - et Jack s'est noyé. 

Je voudrais m'endormir, et ne plus me réveiller.

Ma vie de Verte, où Dieu aime l'humour noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant