La Clepsydre

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 Sans réagir, Fanny fixa le petit sablier dans la main de Reo. Elle le contemplait, fascinée. Il le lui tendit. Fanny le prit sans lui porter la moindre attention.

Il était magnifique, et pourtant, ce mot lui paraissait faible.

Dès qu'elle le saisit, une chaleureuse lumière d'or se répandit. Fanny l'observa minutieusement. Ce qu'elle avait pris pour un sablier ne l'était pas. Un liquide doré coulait paresseusement d'une vasque à l'autre, au goutte à goutte. Des reflets d'or glissaient sur cette transparence irréelle.

Elle l'effleura, et vit avec étonnement des symboles se former sur les extrémités. Fanny déchiffra, non sans peine deux dates, comme si cette faculté resurgissait d'un passé lointain. L'une ne cessait de changer, en rythme avec les larmes dorées qui s'égrenaient dans l'objet. L'autre était fixe, et était paraissait antérieure. Curieuse, la jeune fille observa l'objet sous toutes ses coutures. Malgré son inspection, leurs significations lui restaient inconnues.

Tâche, qui s'impatientait, la rappela d'un toussotement :

- Mademoiselle Fanny, il faudrait que vous mettiez votre Clepsydre dans la fente pour entrer.

Reo se figea et ses poings se fermèrent une fraction de seconde. La lumière grise qui émanait de sa Clepsydre s'amplifia. Le liquide à l'intérieur bouillonna et sembla soudainement incandescent. Ses yeux brûlaient d'un sentiment destructeur. Il s'approcha de Fanny. Ses doigts effleurèrent les siens. Ses pupilles la fixaient intensément. Il ne dit rien, prolongeant ce contact. Elle était trop pétrifiée pour faire quoique ce soit.

- Elle s'appelle Anaëlle.

Tâche jeta un coup d'œil apeuré à la jeune fille. Il ne dit rien, mais elle non plus. Reo avait dit cela d'un ton doux. Fanny se sentit faiblir. La main de Reo faisait des va-et-vient sur sa peau. Elle cilla, et détourna le regard.

Elle était mal à l'aise. Il y avait quelque chose dans l'attitude de Reo qu'elle ne définissait pas. Il ne paraissait pas la voir. Ses yeux étaient perdus dans le vague, fixant un point que personne ne pouvait voir.

Tâche répéta en craignant les conséquences :

- Mademoiselle, je vous prie de mettre votre Clepsydre dans la fente.

Reo se tourna vers lui. Ses lèvres articulèrent :

- Tu n'es qu'un domestique.

Dans sa bouche, ses mots sonnaient comme la pire des insultes. Il s'approcha de lui, engloutissant le minuscule Tâche dans son ombre, et répéta :

- Tu n'es qu'un domestique.

Il attrapa Fanny par le poignet. Celle-ci, figée, resta raide à ses côtés. Il joignit leurs mains, et dit doucement :

- Remets le à sa place.

Elle ne dit rien. Ses yeux fixaient le domestique sans comprendre. Son regard croisa celui de Reo un instant. Ses prunelles brillaient d'un air glacial. Elle sentit que la pression sur sa main forçait. Fanny déglutit. Des ongles s'enfoncèrent dans sa chair. Une fraction de secondes, elle jeta un coup d'œil dans les pupilles froides de Reo. Son regard revint sur Tâche. Il paraissait terrifié. Il tremblait de la tête aux pieds.

Fanny sentit une boule se former dans son ventre. À cet instant, Tâche lui apparaissait si faible, si petit, si fragile. Elle ne pouvait pas le remettre à sa place. Elle n'avait même pas idée de comment le faire. C'était impossible.

- Je ne peux pas.

Sa voix, claire et ferme, s'inscrivit dans le silence avant d'être balayée par un bruit mat.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 18, 2018 ⏰

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