Sous les yeux de la citrouille

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Ses bavardages me font rire. Elle semble tellement à l'aise avec son corps et son esprit. Peu importe ce que les gens peuvent dire sur elle, cela ne l'atteint pas. Au moment où elle quitte son observatoire sur le bureau pour se poser à côté de moi, je manque de fuir, une nouvelle fois, mais un seul regard suffit à ce que je reste sur place. Comme si les valves de mon âme s'ouvraient d'un coup, je lui révèle tout. Que j'ai toujours su que je suis une fille, malgré cette enveloppe masculine, les rendez-vous médicaux avec lesquels je vis depuis plus de deux ans, le rasage que j'effectue tous les matins sur mon visage entre deux séances coûteuses de dépilation, les implantations mammaires et la vaginoplastie que j'attends avec impatience, les traitements hormonaux que je subis. Mon père, qui nous a rejetées, ma mère et moi, parce qu'elle me soutenait, avant qu'il ne se tue dans un accident de voiture, les moqueries à l'école. Tout sort à une vitesse exponentielle avant que je n'ai eu le temps de trier les informations que je lui transmets.

Lorsque je termine enfin mon incroyable monologue, je constate avec stupeur qu'elle est toujours à côté de moi, sa main caressant doucement mes cheveux. A chaque point que j'ai abordé, elle trouve un argument contraire pour me motiver. Les gens se moquent. Et alors ?, répond-elle. J'ai de la barbe. Elle m'avoue qu'elle a aussi deux poils au menton qu'elle enlève à l'aide d'une pince à épiler. Je n'ai pas de poitrine. Elle me prend l'exemple d'une ex qui était plate. J'ai une voix grave. Elle me fait remarquer qu'elle-aussi. Je prends des médicaments tous les jours. Comme les diabétiques, me dit-elle en souriant. Cette jeune femme est un véritable rayon de soleil, incroyablement ouverte d'esprit et qui a l'art de me rassurer.

Je regarde avec envie ses lèvres charnues, légèrement rosées, qui dévoilent ses dents blanc cassé tâchées par le thé qu'elle m'a dit avaler en continu. Peut-être devrais-je lui avouer que je l'aime. Mais, si ce n'est pas réciproque, je perdrais une nouvelle amie, et j'en ai si peu...



Lou a enfin terminé sa longue tirade et semble soulagée. Elle avait vraiment un besoin presque viscéral de parler et je me plais à penser que c'est ma personne qui l'y a encouragé. Elle a un lourd passif, comme moi, et cela me pousse encore davantage à la protéger. En trois heures mardi soir et les minutes d'aujourd'hui, elle a su m'imprégner de ce sentiment terrible qu'est l'amour. Et elle qui supposait que je pourrais la prendre pour un homme. Comme si ce n'était pas assez compliqué pour elle d'être une femme coincée dans un corps masculin. Elle est une jeune femme, la plus belle à mes yeux que j'ai pu découvrir. Ses yeux noisette, son corps élancé, sa bouche fine, ses longs cheveux légèrement ondulés d'une couleur brune, tout chez elle m'attire inéluctablement. Mais c'est bien plus qu'une attirance physique qui coule entre mes veines. Le sang brassé par mon cœur et expédié par lui est empli d'amour.

Je vois son regard se poser sur mes lèvres une seconde fois, et ses joues rougir, tandis qu'elle baisse les yeux.



Abygaël a vu mon regard empli d'envies sur elle, et je ne sais plus quoi dire, ni où regarder. Elle se lève et me tend une main, que je saisis avec inquiétude et questionnements. Me plaçant devant elle, je la dépasse presque d'une tête, du haut de mon mètre quatre-vingt si peu féminin à mes yeux. J'ai peur de ce qu'elle pourrait me dire, qu'elle ne veuille pas de mon amour, de ce sentiment qu'elle a tenté bien souvent, de ce qu'elle m'a dit, de ne pas connaître.

Pétrifiée de peur, je la laisse passer ses doigts sur mon visage, les glisser entre les boucles de mes cheveux, et enfin revenir pour toucher mes lèvres. Une décharge électrique envahit mon corps à ce simple contact et je sens mes joues me brûler instantanément. Elle encadre ma tête de ses mains et se met sur la pointe des pieds. Inquiète, je me penche tout de même vers elle, sentant son souffle de plus en plus proche de ma bouche.

Nos lèvres se croisent, une première fois rapidement, pour se rencontrer à nouveau. Nous nous embrassons doucement. La citrouille aux yeux démoniaques et au sourire cruel sera le premier témoin de cet instant de bonheur.

L'amour a vaincu mes craintes, celles des regards démoniaques et des sourires cruels des citrouilles et de tous ceux qui les entourent. L'une d'elles aura été le premier témoin de notre amour naissant.

Qui aurait pu le croire ? La belle bisexuelle à la sexualité dépravée s'unissant à la transgenre encore vierge de tout baiser. La tolérance et l'ouverture d'esprit d'une belle fée ont vaincu les nombreux monstres de sa bien aimée, grâce au bal infernal des citrouilles d'Halloween.

Citrouille, témoin de notre amour...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant