Je ne peux l'avouer à la fée, Abygaël. Je ne peux pas lui dire qui je suis réellement, qui est cette personne qui se trouve dans la promotion de troisième année. Une fois sur le palier de la porte, je me pose à côté d'une des citrouilles, qui semble m'observer de ses yeux creux effrayants. Je m'en veux tellement. J'ai baissé ma garde, j'ai parlé, j'ai avoué ce que je faisais comme études, ne pensant pas un seul instant qu'Abygaël pouvait être en master. A cause de ce que je suis, mes passages à la fac se résument à arriver en cours juste avant et repartir à peine la voix du professeur éteinte. Seule Natalia est parvenue à me parler, mangeant parfois avec moi dans ma voiture, puisque j'ai toujours refusé de venir à la cafeteria. Le pire, dans cette soirée, c'est que mon petit cœur de romantique a commencé à cogner bien plus fort au contact de la belle fée. Comme si elle avait pu m'accepter. Stupide Lou. Personne ne pourrait te vouloir en couple. Le sourire carnassier de la citrouille me semble directement adressé, comme pour se moquer de mon erreur et de ma faiblesse. Lentement, je me recroqueville sur moi-même, plaçant mes bras autour de mes jambes, me cachant pour pleurer, seule, comme toujours dans ma vie.
Je suis surprise de la réaction de Lou, ne comprenant pas ce qu'elle veut à tout prix cacher. D'un côté, une partie de moi me dit de profiter de l'heure qu'il me reste à la soirée mais, d'un autre, j'ai envie de la comprendre et de savoir pourquoi mon cœur s'emballe auprès d'elle, me forçant à ressentir un sentiment encore inconnu et que j'espérais ne jamais subir. Prenant ma patience à deux mains, je sors à mon tour de la maison, traversant le palier encadré des citrouilles, et la retrouve sous le chêne, en pleurs. Qu'ai-je bien pu dire pour la mettre dans un tel état ? Je n'ose pas vraiment l'approcher. Après tout, je ne la connais que depuis quelques heures. Qui me dit qu'elle va me parler ? Pour ne rien arranger, ma grand-mère m'envoie un message pour me dire qu'elle se sent mal. Il est presque minuit, je suis censée partir dans quelques minutes et je me retrouve là, écorchée entre mon envie de profiter de la soirée, mon devoir de retourner auprès de mon ascendante, et cette jeune goule, complètement effondrée. Un rapide coup d'œil à ma montre m'informe que je vais devoir faire un choix. Il ne reste que trente minutes avant que les douze coups de minuit ne sonnent, vibrant sur une horloge comme mon cœur dans ma poitrine.
Tandis que mes larmes se sont asséchées, telle une terre aride, j'entends quelqu'un se poser à côté de moi, bravant le froid désagréable du sol humide. En voyant les jambes parfaites et le bas de la robe verte, je comprends aussitôt qu'Abygaël est celle qui est sortie me rejoindre. Mon cœur rate un battement et mes joues rougissent à cette idée. La jolie fée est venue pour moi, uniquement pour moi, comme personne ne l'avait fait avant elle. Je relève la tête vers la fée, et son sourire communicatif me transcende totalement. Sa main se pose sur la mienne, aussi bouillante que la mienne est froide, feu et glace réunis. J'hésite. Pourrais-je réellement lui confier mon secret ? Serait-elle capable de m'aimer si elle savait qui je suis ? Ne devrais-je pas plutôt profiter des minutes qu'il nous reste sans rien lui dire, et la laisser partir, malgré les sentiments naissants en moi ?
Je la laisse me prendre dans ses bras et poser ma tête sur sa poitrine, caressant doucement mes longs cheveux bruns. Au creux d'elle, je me sens tellement bien que je ne veux pas parler, et risquer de rompre cette harmonie que nous avons créée.
Lou semble enfin se calmer et moi, je me mets à douter. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle est partie si vite et je ne parviens pas à savoir ce que je ressens. Elle est dans mes bras comme si sa place avait toujours été là pour moi. Comme si ma poitrine, qui la soulève au rythme de mes battements cardiaques, était pour elle un coussin idéal. Jamais je n'avais pris un seul de mes partenaires ainsi, préférant garder cette partie de moi et cette position pour celui ou celle qui pourrait un jour partager ma vie. Mais là, en voyant la belle goule dans cet état de panique, je n'ai pas hésité une seconde. Je lui ai offert mes bras. Mais, ce qu'elle ne devine pas, c'est que, plus que mes bras, ce sont mon cœur et mon âme que je lui donne.
Je me sens tellement à ma place ici que j'en ai oublié la froideur de cette dernière nuit d'Octobre, la pluie qui commence à ruisseler sur moi, les regards perçants des citrouilles qui nous entourent. Je ne vois plus qu'elle, ses yeux verts d'eau, ses cheveux roux et courts, je ne sens plus que son parfum fleuri de fée, je me laisse bercer par son souffle chaud.
La vibration de sa montre me stupéfait et je l'entends soupirer, m'expliquant que sa grand-mère est en train de l'appeler. Elle se lève, me décalant doucement et répond. Puis, après avoir apposé sur ma joue un baiser, qui sonne dans mon cœur comme un baiser d'adieu, elle rentre quelques minutes dans la maison de Natalia avant d'en ressortir, son manteau à la main, et de s'engouffrer dans sa voiture, me faisant un petit signe de la main. Mon cœur est broyé, comme pris dans un étau. Je le sais, jamais elle ne me reconnaîtra. Jamais je ne la reverrai vraiment.
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Citrouille, témoin de notre amour...
Historia CortaUne soirée déguisée pour Halloween, dans un décor de citrouilles. Une fée et une goule masquées. Une rencontre qui va les bouleverser. Mais les apparences peuvent parfois être trompeuses. Et la réalité, bien compliquée... Ce texte a été écrit pour l...