Je me prépare pour la fête d'Halloween, qui a lieu chez Natalia, une amie. Je n'aime pas sortir, voir les gens, j'ai toujours peur que l'on me juge. Mais, aujourd'hui, c'est différent. Je suis une goule et, pour ce faire, un masque vénitien et un maquillage prononcé camoufleront mon visage peu féminin. La robe noire couvre mes trop longues jambes, le décolleté n'est pas profond et mon soutien-gorge permet de me créer une poitrine trop inexistante malgré mes vingt ans. A la fac, la plupart des gens me regardent étrangement, mais Natalia est bien différente, elle est tolérante et cela me plait. C'est pour cette seule raison que j'ai accepté de venir chez elle.
Sa maison est décorée de manière magnifique, et je remarque immédiatement les deux citrouilles qui me toisent, cucurbitacées au sourire démoniaque, des deux côtés de la porte d'entrée. A l'intérieur, les courges sont magnifiques, toutes vidées, et une odeur de soupe à base de leur chair me caresse les narines. De fausses toiles d'araignées sont suspendues au plafond et sur les luminaires, des posters macabres sont présents sur les murs, des branches d'arbres donnent un aspect horrifique à la maison, aidées par un éclairage très faible, à base de bougies. Telle la déesse d'une soirée de l'horreur, Natalia m'accueille, un bougeoir à la main, et me félicite pour ma performance, puisqu'elle m'a à peine reconnue, ce qui me soulage.
Un bol de soupe à la main, je décide de me poser dans un coin du salon, à l'écart de la foule qui commence à arriver. Lorsque je relève les yeux, je suis subjuguée.
Arrivée à la fête de Pierre et sa nana, Natalia, j'ôte le manteau qui cache mes formes que j'aime tant. Déguisée en fée, cela pourrait sembler comique pour moi, qui suis une véritable croqueuse d'hommes et de femmes. Rien à voir avec la gentille petite fée que beaucoup imaginent en me voyant. Je n'ai jamais été amoureuse et ne tiens pas à l'être. Je n'ai que vingt-et-un ans, une licence en poche, un master en cours et je n'ai pas de temps à perdre pour un couple. Par contre, pour s'amuser sans lendemain, je suis la première. D'ailleurs, la belle goule que je vois assise sur un fauteuil me fait de l'œil. Sa robe en grande partie dentelée lui sied à merveille et lorsque je m'approche d'elle, les lentilles rouges qu'elle a mises sur ses yeux me transpercent. Le masque vénitien qu'elle porte, légèrement gris pailleté, épouse avec merveille les contours de son visage, et sa peau, rendue blanche par un maquillage, tranche avec une bouche fine et noire.
Elle baisse les yeux sur son bol de soupe vide à peine nos regards croisés et moi, en parfaite croqueuse, je pose ma main sur son bras, espérant revoir une nouvelle fois ses yeux rouges. Ce soir, je sais que je ne pourrai ramener personne à l'appartement. Demain, je dois faire le tour des cimetières, premier novembre oblige. Ma grand-mère y tient, comme tous les ans et je lui ferai encore ce plaisir. Après tout, elle est ma seule famille aujourd'hui, et ce sont les tombes de mes parents que nous irons fleurir. A minuit, dans trois heures, je décolle de la soirée. Assez de temps pour draguer la personne qui est assise à mes côtés et espérer obtenir un rendez-vous pour plus tard.
La fée qui s'est posée à mes côtés m'a touché le bras, me tétanisant complètement. C'est la première fois que j'ai un contact physique aussi intime avec quelqu'un et cela me trouble. Cette jeune femme est tellement magnifique, avec ses courbes parfaites, mises en valeur par une robe verte, printanière, qui dévoile à la fois ses jambes galbées et sa poitrine généreuse. Tout en suggestion et rien en vulgarité, elle montre une assurance certaine. Un masque fait main à base de tissu légèrement rosé englobe la totalité de son visage, laissant uniquement voir une bouche épaisse et des yeux couleur vert d'eau, dont je ne sais s'il s'agit de leur couleur naturelle ou, comme moi, de lentilles.
Elle entame la discussion et, me voyant stressée, semble se faire un point d'honneur à me rassurer, ce qui me fait tristement sourire intérieurement. J'en reste persuadée, si elle savait réellement qui j'étais, elle ne me donnerait pas autant d'attention. Je sais, car je connais Natalia et la façon dont elle choisit ses amis, que cette fée ne me rejetterait pas, mais de là à me draguer ouvertement, c'est une autre histoire.
Au bout de près de deux heures de discussions, la belle goule à la voix grave m'a enfin avoué son prénom : « Lou ». Un prénom court, sonore, intriguant, comme elle. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive en cette nuit d'Halloween. A parler avec elle depuis tout ce temps, j'en ai oublié de prendre un verre à boire ou de saluer mon collègue de fac, Chris, qui est arrivé. Je sens qu'elle s'ouvre petit à petit, et cela n'est pas pour me déplaire. Nous partageons en commun le décès de notre père, elle à ses treize ans, et moi l'année dernière. Nous nous découvrons également un amour de l'art romantique, du Metal et de la Finlande. Je découvre avec stupeur qu'elle fait partie de la troisième année de licence de Lettres classiques, et suis surprise de ne pas parvenir à me remémorer qui elle peut bien être, alors que je suis dans la promotion juste au-dessus. C'est au moment où je lui pose la question que je la sens se bloquer et la vois se précipiter hors de la maison.
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Citrouille, témoin de notre amour...
Historia CortaUne soirée déguisée pour Halloween, dans un décor de citrouilles. Une fée et une goule masquées. Une rencontre qui va les bouleverser. Mais les apparences peuvent parfois être trompeuses. Et la réalité, bien compliquée... Ce texte a été écrit pour l...