Chapitre premier (Beginning)

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C'était un vendredi, 16 heures 10. Mary le savait car, comme tout les vendredis, 16 heures 10, elle était en cours de mathématiques, les yeux rivés sur l'horloge, en priant pour que le temps passe plus vite.

Le professeur s'énervait une nouvelle fois, probablement sur un enfant inattentif. Les minutes s'écoulaient toujours au même rythme : extrêmement lentement. Elle soupira et détourna son attention des aiguilles.

Par réflexe, elle se tourna vers la place de sa voisine. Pour se retrouver face à une chaise vide. Swann était absente. Elle laissa retomber la tête dans ses bras et retourna à son tête à tête avec l'horloge. 16 heures 12. Pourquoi le temps passait-il si lentement ?

Mary était ce que les adultes ont tendance à appeler « un vrai petit ange ». Une petite fille de quatorze ans, cheveux bruns, yeux noirs et visage banal mais toujours éclairé d'un sourire. Peut-être un peu trop impulsive, peut-être un peu trop bavarde, mais toujours gentille, toujours serviable, toujours à l'écoute. Presque à chaque fois qu'on parlait d'elle, c'était en bien. « Comme elle est studieuse ! Comme elle est gentille ! C'est un vrai petit ange que nous avons là ! » Et, presque à chaque fois, on oubliait totalement son frère.

Erèbe, lui, n'était pas vraiment un ange. Il était à peine remarquable par son mauvais comportement. Seul son œil lui valait un peu d'attention et il prenait soin de le cacher. Ses tendances au mensonge et, plus généralement, au non-respect des règles lui avaient appris à se faire discret.

Au fil des années, il était devenu un véritable fantôme, un borgne qui aurait tout aussi bien pu faire parti du mur. Cela attristait un peu Mary.

16 heures 16.

Oui, Mary était une enfant très travailleuse et gentille mais elle restait une enfant. Et, comme tout les enfants, elle trouvait le cours de maths affreusement long. Particulièrement lorsqu'il s'agissait du théorème de Pythagore et que Swann était absente. Manque de chance, c'était le cas ce jour là.

16 heures 18.

Dans ce genre de cas, elle agissait comme tout les autres enfants : elle griffonnait du Doodle Art mal fait dans la marge de son cahier ou faisait passer à ses amis ou à son frère des messages à peu près aussi intéressant que « C chiant 1 ? »

16 heures 21.

Peut-être que l'horloge était déréglée ? Ce ne serait pas la première fois. Peut-être la fin des cours aurait lieu dans quelques minutes après tout ?

16 heures 22.

Est-ce que c'était humain de s'ennuyer autant ?

Elle chercha Erèbe des yeux. Il ne la regardait pas, ni le tableau. Il semblait perdu dans ces pensées. Maintenant qu'elle y pensait, il était comme ça depuis le matin.

16 heures 23.

Estimant que c'était la dernière chose à peu près intéressante qu'elle pouvait faire, elle se tourna vers la fenêtre.

Par là, comme d'à peu près partout ailleurs, elle pouvait voir la forêt. Grande. Méprisante. Effrayante. Mary n'aimait pas la forêt. Personne ne l'aimait.

Elle recouvrait presque tout le Globe. Seuls les déserts et les rares endroits où l'humain avait entassé champs et maisons, avaient résisté à son avancée fulgurante.

Elle avait appris en cours d'histoire qu'elle n'avait pas toujours été là. Qu'il y avait eu une époque sans ces grands arbres fins qui constituaient la plus sure des prisons. Que l'homme avait un jour vu la Terre lui appartenir. Qu'il y avait eu des prairies et des pâturages. Des landes battues par les vents. De simples endroits d'où on pouvait encore voir la ligne d'horizon.

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