Dragon

Chapitre 1 : Un renard en automne

Andrzej Sapkowski,Sorceleur, L'épée de la providence

"Car tout m'est égal. Je ne suis attendu nulle part. Je n'ai rien au bout du chemin."

Fox se laissa glisser contre le tronc couvert de mousse. Sa poitrine se soulevait rapidement et son souffle était court. Une grimace de douleur défigurait ses traits. Il savait que s'il ne repartait pas maintenant, il ne pourrait plus échapper à ses poursuivants. Mais la souffrance était trop aiguë, il n'arrivait pas à garder le rythme. Son coeur tambourinait si fort dans sa cage thoracique qu'il menaçait d'exploser. Il décolla avec lenteur et en tremblant sa paume qu'il avait tenue pressée tout ce temps sur son épaule droite. Un flot de sang jaillit, et il appuya de nouveau sur la plaie pour faire cesser l'écoulement. Il dût donner un coup de pied dans le tronc pour ne pas hurler. Il était fichu. Cette blessure était trop profonde, et ses forces le quittaient trop rapidement. Je vais mourir ici, pensa-t-il. Je vais mourir et les Chasseurs trouverons mon corps. Leurs dragons me déchiquèteront et feront de moi leur repas.

Il s'affaissa un peu plus en essayant sans succès d'ignorer la douleur qui lui vrillait l'épaule. Il ne reverrait pas sa famille. Ni son père, ni sa mère,ni son petit frère Corma, à qui il avait pourtant juré protection et amour. Et il ne reverrait pas Lila. Jamais il ne pourrait regarder à nouveau ses cheveux violets capter les rayons du soleil, ni son corps élancé prendre le dessus sur lui à l'entraînement, ni son beau sourire ou ses étranges yeux aux pupilles de serpent. Il serra les paupières et laissa une larme s'en échapper. Je ne lui ai jamais dit que je l'aimais. Elle ne le saura jamais. Et je ne saurai jamais si elle éprouvait la même chose envers moi... Des claquements d'ailes retentirent à quelques pas vers la droite, puis des voix qui criaient des ordres. Ça y est, songea le jeune homme. Ils m'ont retrouvé. Je suis un homme mort. Il ôta sa main couverte de sang de sa blessure, laissant le flot vermillon redoubler de volume, puis il ouvrit les yeux et leva la tête vers les feuillages qui cachaient le ciel. Pour la première fois, il remarqua alors à quel point la forêt était belle. Les feuilles mélangeaient leurs couleurs ; brun, jaune, orange, cuivre, or, pourpre, pêche, bronze... Un magnifique tableau d'automne. 

- Il est là !, hurla soudain un homme. Nous l'avons retrouvé ! Rappelez les équipes huit et dix-neuf, dites-leur de rentrer au campement, la mission a été menée à bien. Victor, Flavio, allez le ramasser. Il n'a plus l'air très dangereux, mais faites quand même attention. Elle est coriace, cette rasse-là ...

Fox entendit les craquements des feuilles mortes sous les pas des hommes. La peur l'envahit et il regretta de ne pas avoir eu le temps de se vider de son sang avant qu'ils ne le rattrapent. Il ne savait pas ce qu'ils allaient lui faire, mais une chose était sûre : ils ne seraient pas tendres. Tout à coup, un sifflement déchira l'air et un homme hurla avant de s'étrangler. Il y eut un grand remue-ménage. Des cris d'hommes, des grognements de dragons, des bruits de lutte. Fox luttait pour rester éveillé, il voulait comprendre ce qui était entrain de se passer, mais il était peu à peu pris par une torpeur qui éteignait ses sens. Il eut juste le temps de voir une fille à longue tresse noire se dresser entre lui et les deux hommes qui voulaient l'emporter. Lila ?, se demanda son esprit confus. Puis il sombra dans l'oubli.

Lorsqu'il s'éveilla,il fut submergé par la douleur à son épaule. Il lui semblait que quelqu'un lui y enfonçait des clous. Il lâcha un gémissement. Une couche de sueur recouvrait son front, et il referma les doigts sur un drap rapeux. 

- Réveillé ?, fit une voix féminine. Ne bouge pas ou tu vas encore tomber, et j'en ai marre d'aller te repêcher. 

Fox ouvrit les paupières. Il faisait sombre, mais il pouvait voir la lune briller au-dessus de lui et il sentait un vent froid lui fouetter les joues. Il se rendit compte qu'il grelottait. Le sol se mouvait étrangement dans un mouvement continuel qui lui donna la nausée. Où suis-je? Que s'est-il passé ? Il voulut se redresser, mais un élancement dans son épaule l'en empêcha et il cria. Des larmes s'échappèrent de ses yeux.