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Mon père rentre en manquant de démonter la porte, comme à son habitude. Il me tire de ma rêverie. Frisbee le suit, en quête de croquettes. Mon père s'arrête et enlève son manteau en cuir. Il entame la conversation :

- Lewis m'a appelé.

Lewis est le père d'Eden et le meilleur ami de mon père, depuis l'enfance.

- Il t'a dit quoi ?

- Il m'a dit que les policiers avaient retrouvé un pull à Eden dans les bois de Darkwood. Ils vont diffuser un avis de recherche à la télévision, ça leur a donné tort. Ce qui est étrange, c'est que l'endroit où ils ont trouvé le pull a déjà été passé au peigne fin et.. ils se demandaient si ce n'était pas toi qui l'avait posé là..comme une sorte d'autel pour Eden.

- Moi ?! Pourquoi j'aurais fait une chose pareille ? Un autel ? C'est les flics qui ont sorti cette connerie pour faire croire que je suis un vulgaire psychopathe qui fait croire à la disparition de sa meilleure amie en ajoutant des indices peu à peu ? Bien sûr !

- Du calme, jeune homme. Je t'informe aussi que le lycée m'a appelé, je suis au courant que tu as quitté les cours en début d'après midi.

- Rien à foutre.

- Dereck !

Il se radoucit.

- Je sais que tu souffres, mon fils. On va la retrouver, je te le promets. Moi non plus, je ne crois pas ces policiers à deux balles.

Je cours me réfugier dans les bras ouverts qu'il me tend et pleure de tout mon saoul. Ça me fait du bien, et ça me détruit un peu plus chaque instant.

Mon réveil sonne. Je me lève d'un bond.

Je file sous la douche, enfile un jean, un t-shirt, un sweat par dessus. Je dévale les escaliers, j'enfile mes baskets à la va vite, j'attrape mon skate et mon sac et je sors dans le vent. Arrivé au croisement de la rue, je ralentis. Je passe devant la maison d'Eden, comme avant. Je m'arrête et regarde le jardin. Elle y avait mis pleins de petits rubans qui ondulent au vent. L'espace d'un instant, je croirais voir ses yeux dorés à travers une fenêtre. Je détourne le regard et part en direction de la forêt. Arrivé à l'orée du bois, je cache mon sac et mon skate dans le trou d'un gros chêne et je pars en courant vers la cabane. Je veut essayer de me souvenir. Me souvenir de ce soir là. Je me couche sur le ponton du lac et je ferme les yeux.

"Dépêche Dereck !! On va être en retard à cause de toi !!" me crie la voix enjouée d'Eden.

Je m'extirpe du canapé et me lève. Je me retourne et regarde Eden. Elle est magnifique sans trop en faire, comme d'habitude. Un sweat noir et un jean, accompagnés de baskets. N'importe quelle fille ressemblerait à un sac, pas elle.

On sort dans l'air étouffant du mois d'août, malgré qu'il fasse déjà nuit, et on fait la course vers la forêt, comme à notre habitude. Rapidement, on arrive à la cabane déjà bondée d'ados déjà saouls. Je la vois disparaître dans la foule et revenir avec une bouteille pleine. Je vais m'asseoir sur le ponton après avoir dit bonjour à quelques personnes qui ne me reconnaissent même plus.

Elle arrive peu après, les yeux rouges. J'ai déjà bu quelques verres.

- Eden ? Qu'est ce qu'il se passe ? Tu as pleuré ?

Elle me fait signe que non, en s'essuyant avec le revers de sa manche, comme une enfant. Je fronce les sourcils, prêt à répondre, mais je sens déjà que j'ai trop bu et je m'arrête avant de dire une bêtise.

Elle me regarde, et de grosses larmes dévalent le long de ses joues, longent son menton et trempent son sweat. Je pense qu'elle est soule, elle aussi.

- Ça ira mieux demain matin, Eden. Pleure pas. Ça ira mieux.

- Ça ira jamais mieux. 

D'un coup, elle se lève, part en courant vers la forêt. Croyant à une énième course, je m'élance à sa poursuite. Elle est déjà bien devant moi. Je trébuche sur des racines et m'étale de tout mon long dans la clairière. Eden est à la lisière et me regarde. Puis elle s'engage entre les arbres et je n'ai pas la force de la suivre. Je m'écroule au sol, face contre les feuilles mortes et humides.

Au matin, je suis couché dans l'herbe, près de la cabane. Je cligne des yeux deux, trois fois. Je n'ai aucun souvenir d'être revenu là hier soir. Je me relève sur un coude et regarde les alentours. Personne. Ils sont tous partis. J'ai donc dormi là. Même Eden m'a laissé par terre.

C'est là que je comprend qu'il s'est passé quelque chose. Les images défilent à toute vitesse dans ma tête,je me revois lui courir après comme un dératé, je revois ses yeux dorés me fixer, je la revois filant comme un éclair dans le bois autour de la clairière, puis je me revois l'appeler doucement en espérant que ce n'était qu'une blague. Alors je me relève, je ramasse mes affaires, refais mes lacets, et je m'élance à toute vitesse vers Sonsburry. Je crois que je n'ai jamais couru aussi vite. Les branches me griffent le visage, je trébuche plusieurs fois. Je finis par arriver à l'orée du bois, vers le café Orange. Je longe les rues au pas de course, dévale les pentes a toute vitesse et arrive enfin chez Eden. La maison semble vide. Je passe par dessus le portail d'un bond, marche jusqu'à la porte d'entrée. Je frappe à tout rompre. Dix, vingt fois. Ses parents sont en voyage d'affaires, mais elle ? Je passe par la porte de derrière, toujours ouverte. J'arrive dans la buanderie. Aucune machine ne tourne. Silence absolu.

Je me plante dans le hall et regarde en haut, vers les chambres. Silence absolu.

- Eden ? Eden..ça me fait pas rire. Répond si tu es là.

Je la connais, elle aime tellement me faire peur qu'elle ne me répondra pas.

Je monte aux étages, méfiant, me préparant mentalement à recevoir Eden qui va me sauter sur le dos en hurlant puis en éclatant de rire.

Je m'avance vers sa chambre. J'ouvre la porte. Rien. Son lit est désespérément vide, son bureau jonché de papiers et des dessins, de pinceaux, sa chaise encombrée de vêtements. Sa table de nuit est pleine de livres. Parmi eux, je reconnais un livre que je lui ai offert il y a de ça une éternité.

Pour être sur qu'elle n'est pas là, j'ouvre les placards en retenant ma respiration à chaque fois. Dépité, je redescend lentement après avoir vérifié toutes les autres chambres et même le grenier. Je me sens comme un cambrioleur. J'arrive dans la cuisine, regarde sous le plan de travail, examine sous la table. Finalement, la seule trace de vie que je trouve est Tempête, le chat d'Eden. Il m'accueille d'un miaulement endormi. Je lui gratte la tête et lui murmure "Où est elle ? Où est Eden ?" Il me regarde sans émotion et baille. Je soupire et sors dans le jardin.

Je m'assois au pied d'un arbre. Eden y a accroché des milliers de longs rubans colorés qui ondulent dans le vent. Je les regarde quand la sonnerie de mon téléphone me tire de ma rêverie. Je le tire de ma poche, espérant voir affiché le nom d'Eden, mais non. C'est Elliott.

DERECK !!!!! Où est Eden ?

Il vient de me crever les tympans, ce con. Je lui répond :

J'aimerais bien le savoir. Je suis chez elle, mais elle n'y est pas. Je m'inquiète.

On la cherche partout, Dereck. Elle a disparu.

D..disparue ? Mais non ! Elle.. nooooooooooooooooooon !!!!!!

Un cri déchirant fend l'air. Un cri de douleur.

Elle a disparu.

Les heures qui suivent, je les passe au poste de police. On m'interroge six fois en tout. Les policiers me pensent coupable, capable d'avoir tué ma meilleure amie.

Tuée. Morte. Assassinée. Blessée. Disparue. Victime. Tous ces mots qui désignent une fille qui n'est pas Eden. Pas cette Eden. Je refuse de croire à leurs histoires.

Je passe cinq jours sans aller au lycée, partagé constamment entre la forêt où je recherche encore et encore et mon lit où je dors plus que jamais.

Je vis en état second, j'ai l'impression que chaque pas va me briser les os tellement elle me manque, tellement je suis devenu seul sans elle. 

De l'or dans le noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant