Une apparition royale

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"-En ce beau jour de Noël enneigé, laissez-moi vous raconter l'histoire fantastique de votre arrière-grand-père, mes enfants. Nous sommes en Touraine, au sein du château de Chenonceau, construit au-dessus du fleuve du Cher au 16ème siècle."

Édifice de la Renaissance, François Ier l'intégra au Domaine Royal en 1535. Le Roi Henri II décida de l'offrir à sa favorite, Diane de Poitiers, le protégeant sans le savoir de la destruction induite par la Révolution française. Le 10 juillet 1559, la reine Catherine de Médicis, veuve d'Henri II, écarta rapidement la maîtresse et s'appropria Chenonceau. Elle y installa l'autorité du jeune roi, en même temps que le faste italien. Au milieu des fêtes qu'elle y donnait, elle dirigea le Royaume de France depuis le Cabinet Vert décoré des deux "C" entrelacés de ses initiales. Ces dernières, en plus des motifs végétaux sculptés, décoraient le plafond en bois à caissons carrés, peints et dorés de la chambre qu'elle occupa. Cette pièce fut riche en mobilier travaillé et de rarissime ensemble de tapisseries des Flandres dont les bordures peuplées d'animaux symbolisaient les proverbes et les fables. Le lit à baldaquin, orné de frises, pilastres, portraits de profil inspirés des médailles antiques, la cheminée et le sol de tomettes Renaissance finissaient l'ameublement.

En 1624, César de Vendôme, fils légitimé du roi Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, prit possession de Chenonceau. Il y aménagea une chambre pour sa mère avec des tapisseries de Bruxelles illustrant les mois Lucas : Juin, Juillet et Août. Des tentures des Flandres montrant la vie de château et l'Amour complétaient le tout.

Au 18ème siècle, ce fut Louise Dupin, Dame des Lumières, qui recevait au château les plus grands érudits, philosophes et académiciens français dans son salon littéraire. Enfin, Madame Pelouze en fait, au 19ème siècle, le théâtre de sa réussite triomphante avant qu'un scandale financier n'entraîna sa ruine. Henri Menier racheta le château au Crédit Foncier en 1913. A sa mort, son frère Gaston, député, puis sénateur progressiste, le transforma en Hôpital Militaire pendant toute la durée de la Grande Guerre. L'édifice revint ensuite à Antoine Menier.

A l'heure de mon histoire, la France, pays meurtri, pansait ses plaies induises par les six ans que dura la seconde guerre mondiale contre l'Allemagne d'Hitler. Terminée le 8 mai 1945, un an après le débarquement en Normandie du 6 juin 1944, celle-ci fut meurtrière et avait coupé le territoire en deux. Une ligne de démarcation avait été décidée, partant du pays basque et remontant vers le nord jusqu'au sud-est de Tours, ville du Loir et Cher, pour ensuite poursuivre son chemin vers l'Est en direction de la Suisse. Au nord de cette frontière était la zone occupée par les Nazis, au sud, la zone libre régie par le régime de Vichy. La population avait tout fait pour survivre en choisissant soit la voie de la Résistance, soit celle de la neutralité ou encore de la collaboration.

En ce 24 décembre 1945 et en cette fin d'année jouissant d'une nouvelle liberté, le sang versé commençait juste à sortir des esprits. Tous se préparaient à vivre des festivités sonnant des cloches de la réconciliation entre chaque citoyen français. Une voiture noire roulait sur une route de la terre de Touraine. Elle déboucha bien vite sur un chemin de terre protégé par une allée d'arbres centenaires. Ses passagers purent alors percevoir à leur gauche ce qui leur apparaissait comme un labyrinthe italien de 2000 ifs situé dans un parc de 70 hectares. A leur droite, ils passèrent devant une ferme sortant du 16ème siècle. Elle voisinait un immense potager où une dizaine de jardiniers y cultivaient de nombreuses variétés de légumes et de plantes, ainsi qu'une centaine de variétés de fleurs à couper. Le véhicule déboucha bien vite sur un parterre de verdure avant d'atteindre une cour de gravier.

Le chauffeur se gara à côté d'un vieux puit orné d'une chimère et d'un aigle, emblème de la famille des Marques qui donnèrent leur nom à un ancien donjon médiéval transformé dans le goût de la Renaissance. Cette tour des Marques se dressait fièrement surplombant les douves qui délimitaient ce parking improvisé. Les occupants sortirent de leur monture de métal et se dirigèrent vers la silhouette d'un homme et d'une femme. Votre arrière-grand-père, car c'était lui, salua ses hôtes. Il possédait des cheveux bruns grisonnants et arborait les rides de la cinquantaine.

Le Noël d'une âme briséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant