Chapitre 1

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          Assise à même le sol froid de ma chambre, je relisais pour la centième fois le même livre. Les écrits de Tolstoï ne parvenaient pas à m'intéresser, alors même que je m'étais évadée grâce à eux tant de fois.

J'étais reconnaissante à ces quelques auteurs que je connaissais de m'avoir fait quitter ma vie, mais je les enviais aussi. Enormément. Parce qu'ils avaient suffisamment découvert le monde pour en parler.

Ce qui n'était pas mon cas.

Je reposai le livre sur mon bureau et m'étirai. En moi, je sentis ma louve s'impatienter. Elle avait envie de sortir, de courir, de chasser. Je ne pourrais la laisser libre avant plusieurs heures, et déjà je savais que cette journée allait être interminable d'ennui. Comme tant d'autres.

Je soupirai. Du rez-de-chaussée me parvinrent les voix de Nadia et Zora, qui discutaient gaiement en préparant le déjeuner. Leurs éclats de rire percutaient de plein fouet le silence abandonné de ma chambre.

Peu importe.

Ce petit mantra, je me le répétais tous les jours depuis trop d'années pour les compter.

Peu importe que mes sœurs n'aient que faire de moi.

J'allais poser mon front contre la vitre glacée. Le mois d'octobre touchait à sa fin, mais la neige était déjà là. Elle l'était quasiment toujours dans le nord du Canada. J'aimais me répéter le nom du pays où je vivais, comme pour le rendre réel. Comme je répétais celui de la Russie parfois, pour me souvenir d'où provenaient mes ancêtres.

Les deux cultures différaient beaucoup. Je le savais, je l'avais lu dans les livres. Je le voyais aussi depuis ma fenêtre quand des membres de la meute se réunissaient autour de mets si différents que c'en était presque comique.

J'aimais me rappeler où j'aurais pu vivre et où je vivais. Parce que si je ne le faisais pas, j'avais l'impression que le monde finirait par se réduire aux quatre murs de cette maison, et à la partie de forêt alentour.

Les seuls endroits où j'étais autorisée à aller.

— Mira, à table ! brailla Nadia dans l'escalier.

Comme si je n'avais pas pu l'entendre si elle avait parler simplement dans la cuisine. C'était comme si mon ainée occultait le fait que j'étais autant un loup-garou qu'elle.

Peu importe.

Je descendis les marches sans me presser. Dans la cuisine, Alexei était déjà attablé tel un roi. Zora finissait de mettre la table et Nadia commençait à servir notre frère.

Avait-il déjà seulement touché une casserole de sa vie ? J'en doutais.

Nadia remplit toutes les assiettes et nous nous assîmes comme de coutume. En face de Zora et à droite de Nadia, je contemplai les portions de viande et de légumes avec une grimace. La mienne était plus petite.

Peu importe.

Mes ainés entamèrent leurs conversations habituelles sur la meute et leurs amis, comme si je n'existais pas. Je mangeai vite, le dos vouté pour disparaitre. Parce que c'était plus facile pour moi de faire effectivement comme si je n'existais pas.

Quelqu'un frappa à la porte de la maison. Comme père n'était pas là, c'est Alexei qui alla ouvrir, carrant les épaules avec son arrogance d'héritier.

Mira ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant