Chapitre 2

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Quand la porte de la maison se referma derrière mon père, je laissai échapper un soupir de soulagement. Enfouie sous ma couette, j'avais tenté d'étouffer mes larmes. Je craignais bien trop ses réactions pour laisser transparaitre le moindre de signe de faiblesse.

          Tu es une louve forte.

          Cette simple affirmation m'aida à me lever. Parfois, j'avais l'intime conviction que si j'avais été une simple humaine, je serais devenue folle depuis des années sans le soutient de ma partie lupine.

          Si j'avais été une simple humaine, je n'aurais jamais eu cette vie.

          Je me secouai, me refusant à ces pensées sombres. J'avais enfin la maison pour moi toute seule. Mon frère et mes sœurs étaient à des kilomètres de là, sous leur forme de loup, à chercher la trace des inconnus qui avaient osé poser un pied sur notre territoire. Père était occupé avec les affaires de la meute.

          Je consultai l'heure à ma montre usée : 15h30. Mon heure préférée, car j'étais toujours seule.

          Je dévalai les escaliers, me figeai en bas comme si j'allais me faire engueuler, puis me souvins de ma liberté éphémère et fictive. Je fis un petit tour sur moi-même.

          D'un pas dansant, j'entrai dans la pièce à vivre. Là résidait mon objet préféré de la maison : le piano.

          C'était une pièce de collection qui dénotait quelque peu dans notre pittoresque salon. Entre les murs en bois et les couvertures à carreau sur le canapé, le piano à queue, d'un noir étincelant, était parsemé d'entrelacs en or. Je savais que c'était véritablement de l'or, père l'avait dit plus d'une fois à mes ainés. Il aimait leur raconter qu'il l'avait offert à Maman quand Nadia était née, la remerciant ainsi de tout ce qu'elle lui avait apporté.

          Nous avions interdiction d'y toucher, moi plus particulièrement. Ce piano était l'autel à la gloire de ma mère. C'est pourquoi, quand personne n'était là, je venais m'y réfugier.

          J'avais commencé à l'approcher si jeune que je peinais à m'en souvenir. Enfermée ici jour après jour, je dépérissais d'ennui et de mal être. Seule, rejetée, détestée, j'étais venue chercher dans ce piano l'amour d'une mère que je n'avais jamais connu.

          Maladroite et enfantine, j'avais fait courir mes doigts sur les touches.

          Et une passion était née.

          Ma mère avait été une musicienne d'exception. Pendant des années, je m'étais entrainée avec les partitions des plus grands musiciens classiques qui soient, de Beethoven à Chopin, en passant par Bach et Mozart. Puis j'avais découvert des partitions cachées dans un recoin du piano.

          Les morceaux écrits par ma mère.

          J'avais pleuré de longues heures. Parce que j'avais eu l'impression de la connaitre, et de la perdre à nouveau.

          Il y avait des morceaux joyeux ou mélancoliques, entrainant ou sombre. Mais plus particulièrement, il y en avait un pour son mari et pour chacun de ses enfants.

          Le mien était inachevé.

          J'enfonçai la touche la plus aigüe, puis la plus grave, avant de m'asseoir. C'était mon petit rituel, comme pour apprivoiser l'instrument.

          Habités par une vie propre, mes doigts glissèrent sur les touches de plus en plus vite, emportés par ma mémoire.

          Je commençai par Lettre à Elise, de Beethoven. Je l'adorai. J'avais pris l'habitude qu'elle soit mon premier morceau, comme un remerciement. C'était elle que j'avais su jouer en premier, et la jouer à chaque fois était une victoire et un échauffement. 

Mira ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant