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Je m'éveille tout doucement. J'ai l'impression que quelque chose tape sur mon crâne comme le glas assourdissant d'une cloche. J'y porte la main, et étouffe un cri quand je pose ma paume sur mon front. J'ai mal ! Mon poignet me brûle, il me lance, je n'arrive pas à le bouger, je préfère le laisser dans une position entre le point fermé et la main ouverte.

Ma tête tourne. Ma vue est floue, mais se réhabitue vite à ce qui se trouve autour de moi. Je suis dans un espace clôt, un genre de hangar je crois. C'est assez sombre, mais une vague lumière bleue éclaire l'ensemble. Elle vient du plafond, où j'aperçois une substance gluante qui dégage cette lumière glauque.

Le tout me permet de distinguer la pièce. Elle est assez grande, et partout au sol il y a des caisses, ouvertes pour certaines, fermées pour d'autres. Il y a aussi des débuts de matériaux, des morceaux de métal et de glace, ainsi que des pots transparents contenant de la gelée brillante et translucide. Je ne sais pas ce que c'est, mais quelque chose me dit de ne pas en approcher.

Les murs semblent froids et hermétiques, ils me rappellent les murs des maisons de la région des Glaces. Peut-être est-ce là où je me trouve. Mais pour en avoir le cœur net, il faudrait que je sorte, c'est à dire que je franchisse la porte coulissante qui se trouve devant moi. Mais elle m'a l'air d'être bien fermée. Je cherche un éventuel panneau de contrôle qui pourrait me permettre d'ouvrir la porte, mais je n'en trouve pas. Suis-je bête, pourquoi y en aurait-il dans un hangar fermé, et surtout, pour accéder à l'extérieur ? La seule chose que je vois, c'est un gros 5 peint industriellement d'une peinture rouge écaillée qui orne la porte. Ce n'est pas ça qui va m'avancer.

Pourquoi suis-je là, au fait ? Que s'est-il passé avant que je ne m'évanouisse ? Mes souvenirs sont très flous, je ne me rappelle pas de grand chose.
Je vivais avec ma mère et mon père dans les montagnes qui surplombent la région des Glaces. Nous étions réfugiés dans une base creusée dans la roche. La montagne nous protégeait des radars éventuels des Neutres et de tous leurs Soutireurs et de leurs Inventifs. Mes parents ont toujours été contre ce système où chacun est censé avoir une place attribuée, où on ne se mélange pas ni entre région ni entre Neutre et Complexe. Ils sont donc partis vivre dans des camps où se regroupent des Changeurs, c'est comme ça qu'ils s'appellent, c'est à dire des hommes et des femmes ayant décidé de vivre leur vie comme bon leur sembleraient sans être enfermés dans un cube de règles sottes.

Les Changeurs et les Soutireurs ne se sont jamais beaucoup appréciés, aussi y a-t-il toujours eu des conflits entre eux. Au fil du temps, ces conflits sont devenus de plus en plus violents, et aujourd'hui, on pourrait les considérer comme des ennemis mortels. Les Changeurs subsistent grâce aux associations illégales de Neutres et de Complexes qui sont prêts à les aider. Malheureusement, ils ne sont que très peu nombreux, en raison de la surveillance des Soutireurs.
D'où le début de mon problème. Pourquoi diable suis-je dans la région des Glaces ? Et comment ai-je fait pour en arriver là ?

Je tente de calmer les battements affolés de mon coeur. Des images vagues me reviennent à nouveau, des images qui me terrifient. Je vois des hommes et des femmes en blouse blanche, penchés au dessus de moi et parlant à travers leurs masques. Ils ont des instruments étranges dans les mains, et certains sont assistés d'androïdes dont certains ne ressemblent pas tellement que ça a des humains. J'entends des sons réguliers comme les sons d'un battements de coeur, puis ceux-ci s'affolent, et les médecins se mettent à parler plus fort, ils tentent de m'immobiliser.

De la sueur froide perle le long de ma tempe et je l'essuie. Grave erreur, j'avais oublié l'état de mon poignet. Je pousse un juron fort peu élogieux à mon égard avant de me dire que je devrais peut-être trouver quelque chose dans ces caisses qui me servirait à immobiliser ma main blessée. Je me traîne jusqu'aux caisses ouvertes, mes jambes étant encore complètement ramollies. J'en ouvre une qui n'est pas encore fermée par ces drôles de gros cadenas. Le couvercle grince et se rabat derrière. Je fouille dans la caisse et sors tout ce que je peux trouver dedans. Une pensée idiote me vient à l'esprit : j'espère ne pas avoir fait trop de bazar.

Je me rassieds au milieu de mes trouvailles. J'ai trouvé des couvertures fines comme on en trouve partout, ainsi que des sachets de nourriture et de l'eau. J'attrape une couverture de ma main non blessée, la gauche, avant de prendre l'autre extrémité entre mes dents. Je tente de la déchirer mais le tissu est trop dur. Je pousse un soupir découragé. Je sens que ça va prendre du temps. Je continue mon projet en essayant de me convaincre que je n'aurais pas de visite avant longtemps. Je fais parti des Changeurs, et je suis étonnée d'être encore en vie. C'est un miracle je dirais, et je compte bien en profiter.

Je sursaute à chaque petit bruit et mon coeur n'a jamais été aussi rapide. Je tente de penser d'un air détaché mais en vérité mon esprit s'affole tout seul. Le silence reste néanmoins très pesant.
Au bout d'un certain temps, le tissu cède enfin et je tente un garrot maladroit autour de mon poignet blessé. Je m'adosse contre la caisse. Je suis déjà épuisée. Je passe ma main libre dans mes cheveux violets et constate que ceux-ci ont été coupés, et qu'ils se battent en duels sur ma tête. Autrefois, une mèche mesuraient bien trente à quarante centimètres, aujourd'hui je crois qu'ils n'en mesurent plus que dix.

J'attrape un sachet de pain et débouche une gourde d'eau. Je prépare mon pain en versant l'eau sur la poudre mais je comprends un peu trop tard que j'en ai trop versé. Mon pain est formé, mais complètement trempé. Je soupire. Avoir une main en moins n'est vraiment pas pratique.
Je mâchonne mon pain à l'eau en regardant dans le vide. Je sais très bien ce que je risque si jamais les Soutireurs me trouvent. Un frisson de froid me traverse. Je ne sais pas si c'est du froid ou de la peur. Ce que je sais, en revanche, c'est que je suis fatiguée. Je frissonne à nouveau et mes yeux se remplissent de larmes. Je les sens couler le longs de mes joues et je les essuie d'un revers de main en reniflant. Papa, Maman, vous me manquez, j'ai peur, je suis seule, et je ne sais pas où je suis.

Je respire un grand coup et tente de chasser les pleurs. Je renifle à nouveau et attrape une couverture dans laquelle je m'enroule en boule. Mes yeux dérivent sur la lumière pâle et je tremble toujours. Mes mains sont glacées et mon front brûlant. Je sais que je ne vais pas bien, mais je ne rêve que de me réchauffer. J'agite mes doigts et fais apparaître une petite flamme rouge orangée qui me réchauffe un peu. Je ferme les yeux, vaincue par le fatigue, et prie silencieusement pour me réveiller en vie demain, du moins si mon sommeil est assez long pour atteindre ce "demain" que je ne connais pas.

Je renifle encore. Je crois que je suis vraiment tombée malade.

Pour un morceau d'éternitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant