Chapitre 1

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"Aïe!"

Je laisse glisser le sécateur sous le coup de la douleur. Celui-ci tombe par terre dans un grand fracas métallique qui attire l'attention d'Elody. Elle se précipite vers moi pour savoir ce qui se passe.

–Ce n'est rien, je me suis coupée c'est tout, je vais aller rincer la plaie et reprendre mon travail, ne t'inquiète pas.

J'essaye de la rassurer tant bien que mal. Mais elle attrape ma main et, après avoir examiné ma coupure plutôt sévère non sans une grimace, elle me lance un regard sérieux.

–Tu rentres chez toi ou tu vas à l'hôpital, en tout cas tu ne restes pas ici pour laisser cette blessure s'aggraver. Et vu la profondeur de l'entaille, on n'a pas le matériel nécessaire dans la boutique pour te soigner.

Ça m'apprendra à être distraite, tout ça à cause de ce fichu pendentif ! Je ne suis vraiment bonne à rien sans lui... Résignée, je vais dans les vestiaires, passe ma main sous l'eau avant de l'envelopper dans une bande de gaze. Celle-ci se tâche presque instantanément d'une flaque rougeâtre et je soupire.

Il semble évident que je ne peux pas rester. Pire que ça, il semble évident que je devrais aller à l'hôpital... Mais vraiment, je n'en aurais pas l'énergie, surtout si je n'ai toujours pas mis la main sur mon collier ! Non, je dois d'abord rentrer chez moi pour le retrouver, et si, une fois arrivée et de nouveau en possession du fameux pendentif, je saigne encore abondamment, j'irais à l'hôpital.

Je hoche la tête au miroir, en signe d'assentiment personnel, puis range le tablier dans mon casier et attrape mon manteau. Je ferme le tout et traverse la boutique pour en sortir. En passant, j'en profite pour adresser un signe de tête désolé à la chef qui refuse de la main :

–Je t'ai dit de rentrer chez toi te soigner, donc c'est ce que tu vas faire illico presto !

J'acquiesce, en bonne petite employée que je sais être, et lui envoie un baiser arrivée à la porte. Je finis par pousser celle-ci sous le tintement mélodieux des clochettes accrochées au dessus et sors dans le froid polaire de cette fin d'automne.

Aussitôt, mon corps est pris de frissons et je presse le pas. Je rentre les mains dans les poches et – malheur à moi – serre les poings, oubliant ma blessure dont la douleur se fait d'autant plus vive.

–Bordel...

La poche de mon manteau s'imbibe immédiatement de mon sang.

Génial, il ne manquait plus que ça, continuons sur notre lancée !

J'accélère encore pour éviter de faire plus de dégâts. Il est à peine seize heures et la nuit est déjà tombée. C'est vrai que les journées sont beaucoup plus courtes depuis l'apocalypse...

Il y a maintenant 232 ans, les hommes sont entrés en guerre – non pas que ce soit la première fois, mais celle-ci a été la plus dévastatrice, que ce soit au niveau des pertes humaines ou environnementales. En effet, elle a été si violente que les trois quarts de l'humanité ont péri, d'abord sur le champ de bataille, ensuite à cause des maladies dues aux répercussions chimiques qu'elle a engendrées. Et enfin, des catastrophes naturelles sont apparues en raison des nombreuses explosions nucléaires, et ont fini d'achever le peu d'êtres humains encore en vie.

Les derniers survivants se sont regroupés et ont formé de nouvelles sociétés, toutes basées sur des fondements similaires à l'ancienne. Ils ont décidé de repartir à l'année 1PA (Post-Apocalypse) tout simplement l'année marquant la fin des batailles, ce moment où la Terre a recouvré un climat stable et vivable. Mais, à cause de cette guerre qui avait déréglé de nombreuses lois naturelles, le développement de cette fameuse société (construction de bâtiments, mise en place de l'eau courante, de l'électricité...) a connu de nombreux échecs. 

Nous avons essayé, au cours de ces 230 dernières années de monter des gouvernements stables mais aucun n'a su réellement satisfaire la population et tous ont été détruits pour d'autres. Un véritable cycle infernal. Aujourd'hui encore, on peut ressentir les effets qu'a eu "l'ère apocalyptique" sur le monde et au mois de janvier 233PA prochain nous encore allons élire un président qui sera à la tête du Nouveau Gouvernement, qui semble avoir le plus de chances de durer en comparaisons aux précédents, celui-ci reposant sur toutes les attentes de la population.

Une bourrasque glacée me ramène dans le présent. Je décide de prendre un raccourcis, et m'engage dans une ruelle assez isolée que j'évite habituellement. Il y a peu de luminosité, les immeubles sont hauts et l'espace qui les sépare est étroit.

L'endroit rêvé pour commettre un meurtre...

Alors que j'ai déjà passé la moitié de la rue au pas de course, une camionnette déboule à toute vitesse et s'arrête en face de moi. Paniquée, je me pétrifie ne pouvant détourner le regard de la scène qui se déroule sous mes yeux. J'ai un mauvais pressentiment, je ne sais pas si c'est dû au décor peu attrayant du paysage ou simplement à mon état faiblard, mais je sens une boule qui se forme dans mon ventre semblant vouloir le déchirer...

La portière arrière s'ouvre brusquement, je sursaute, et un homme se jette hors du véhicule qui entame un virage serré pour ne pas foncer dans le mur. L'homme roule sur le sol avant de s'immobiliser, allongé et inerte, tandis que ses assaillants disparaissent dans la pénombre après avoir rebroussé chemin.

Je reste pantelante, à regarder ce corps, juste devant moi, effondré par terre. J'ai l'impression que ma tête est vide, je n'arrive pas à reprendre mes esprits, tout ce que j'entends c'est mon cur qui bat à cent à l'heure et je sens mon souffle saccadé faisant pulser mon sang violemment dans mes veines. Après quelques minutes, je me réveille de cette paralysie passagère et me précipite vers l'homme qui n'a toujours pas esquissé le moindre mouvement. Je remarque, en m'approchant de lui, que son cas est beaucoup plus grave que je le pensais. Il s'est pris une balle en plein dans la poitrine et se vide de son sang à une allure inquiétante. Ma blessure paraît ridicule en comparaison à la sienne...

Sans réfléchir, j'essaie, non pas sans difficulté, de le relever, passe son bras au dessus de mon épaule et me dirige le plus rapidement possible, malgré son poid, vers mon appartement.

Arrivée dans mon salon, plus qu'essoufflée, dégoulinante de sueur, je dépose l'homme le plus délicatement possible malgré mes muscles engourdis par la douleur. Une fois qu'il est allongé, je me débarrasse de mon manteau et de mon sac et me précipite dans la salle de bain afin de prendre mon kit de premiers soins remarquant au passage que la gaze qui entourait ma main s'est détachée à cause du surplus de sang. Je l'enlève d'un geste agacé et reviens dans le salon avec hâte.

Je m'attèle tout d'abord à retirer les vêtements de l'inconnu qui s'est évanoui – du moins je l'espère – et commence à examiner sa plaie en dépit des faibles connaissances que j'ai sur le sujet.

La balle est logée juste en dessous du coeur. Un liquide rouge et visqueux se répand sur son torse et coule par terre. Paniquée par tout ce sang, j'appuie sur sa poitrine avec mes mains de toute la force qu'il me reste afin de stopper l'hémorragie. Je suis complètement larguée, et n'ai aucune idée de comment le sauver mais je reste bien décidée à ne pas le laisser mourir au milieu de mon salon.

Je presse encore plus fort, tentant en même temps de discerner ne serait-ce qu'une toute petite réaction de la part de ce corps endormi quand je ressens soudain une décharge électrique qui parcourt mes veines. Mon poignet brûle comme si quelqu'un maintenait une flamme dessus. La douleur me fait reculer d'un coup et ma tête heurte la table basse. L'homme se réveille en sursaut.

Il me regarde avec une expression figée entre confusion et inquiétude et attrape mon poignet gauche qu'il examine gravement.

C'est alors que son regard s'éclaire, comme s'il venait de découvrir quelque chose d'à la fois extraordinaire et terrible. Il me fait face avec un air empli de tristesse et d'empathie.

–Je pensais que j'étais le dernier, souffle-t-il, la respiration saccadée. Je pensais que nous étions tous morts.

Son visage se crispe sous la douleur.

–Ne fais confiance à personne...

Il s'écroule, immobile, le sang continuant de se déverser sur le parquet. Me laissant seule et perdue au milieu de cet amas de questions qui se bousculent dans ma tête.



AurasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant