Chapitre 4

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Depuis combien de temps est-ce que je marche ? Depuis combien de temps est-ce que j'ai arrêté de pleurer ? Depuis combien de temps cette saleté de chat miaule-t-il dans sa cage ? Je n'en peux plus. Mes forces mabandonnent, laissant place à la fatigue qui enfle dans ma tête depuis que jai quitté Elody. Je dois trouver un endroit où dormir avant de m'évanouir. Mais la peur dêtre encore trop près d'elle et de mon appartement, la peur que la police me trouve, m'arrête, m'accuse d'un meurtre que je n'ai pas commis et fasse plonger ma plus chère amie avec moi moblige à continuer davancer. Je ne peux pas marrêter. Il en est tout simplement hors de question.

Je soupire longuement et continue ma route, essayant d'ignorer les plaintes incessantes du petit animal qui, mine de rien, pèse une tonne ! Je me persuade de ne pas cesser de marcher, toujours marcher, marcher plus loin, marcher jusquà ce que mon corps me hurle de le laisser tranquille, jusquà ce quil décide de lui-même me reprendre les commandes. Je moblige à ne pas regarder en arrière. Mes paupières sont si lourdes qu'elles passent leur temps à tomber sur mes yeux et je dois faire un effort surhumain pour les rouvrir.

La seule chose qui me convainc de ne pas abandonner, cest le lointain souvenir dune phrase quon mavait dite avant que mon arrivée à lOrphelinat, un des très rares quil me reste. Je ne me souviens plus du visage ni de l'identité de celui qui avait partagé avec moi son mantra, mais je me souviens de chaque mot qui le constituait : "tu sauras toujours lorsque tu es arrivée là où tu devais être."

Au moment même où ces mots traversent mon esprit, une douleur encore plus vive que les précédentes enserre mon poignet. Je pousse un cri et ne peux retenir tout ce que j'avais dans les mains de tomber. Je lâche tout et m'écroule par terre. La douleur sintensifie chaque seconde un peu plus. Je moblige à me relever, prenant mes affaires avec moi, et me traîne derrière un vieux mur délabré constituant les parois grises et sales de ce qui devait être un immeuble il y a longtemps.

Une terrible idée émerge dans mon esprit : et si la plaie s'était infectée ? Et si cette tâche bordeaux était un signe de gangrène ? Et si j'étais en train de pourrir de lintérieur ? Paniquée, je retrousse ma manche pour observer ma peau, la tâche est toujours là mais n'a pas évolué. Ma plaie ne saigne même plus. Je ne comprends pas.

Une nouvelle décharge, la douleur éclate et je crie à gorge déployée, me convainquant que de toute manière, j'ai fait en sorte de prendre des routes peu fréquentées et j'ai rejoint la plaine dès que j'ai pu – plaine constituée de champs et de vieux bâtiments en ruine. Personne ne peut m'entendre. Je ne peux maintenant me concentrer sur rien dautre que mon poignet qui me fait tant souffrir. Je sens mon âme se déchirer, ma tête mélance dangereusement si bien que jai limpression quun millier daiguilles se plante dans mon crâne, essayant par tous les moyens d'y rentrer et de m'achever. Et cest lorsque je jette un ultime regard à la source de mon martyre que je me rends compte qu'une sorte de lumière vive, presque fluorescente, émane de ce nouveau croissant de lune.

Je cligne des yeux, et les larmes accumulées se libèrent enfin des cavités qui les retenaient prisonnières. Je les frotte pour éclaircir ma vue, retrouve une certaine netteté puis revérifie : plus rien. La tâche est de nouveau bordeaux. Je ne comprends rien. Je ne savais pas que la solitude mettait aussi peu de temps à vous rendre fou. Ma migraine revient dun coup, si puissante que je deviens aveugle, je ne vois plus la route interminable devant moi, je ne vois que du noir.

Les ténèbres m'emmènent expier mes péchés.

Le chat continue de brailler à côté de moi mais un bourdonnement vient emplir mes oreilles et je finis par ne plus l'entendre. Après la vue cest louïe que je perds. Une image, fugace, apparaît derrière ma rétine, augmentant encore d'un cran la sensation de ces épines qu'on m'enfonce peu à peu dans les tempes.

AurasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant