Chapitre 3

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Je me répète en boucle les étapes de la liste dans ma tête. Ça m'empêche de laisser mon esprit vagabonder vers des et si improbables qui me mèneraient sans aucun doute à un état de panique incontrôlable.

La nuit est tombée. Les bâtiments en pierre, si délabrés qu'ils menacent de s'écrouler à tout moment si un coup de vent trop fort vient faire pression sur eux, s'élèvent de leurs formes sombres, sinistres au dessus de moi. Ils me surplombent, leurs silhouettes menaçantes pesant sur ma conscience et il m'est difficile de distinguer autre chose que leur contour. Le quartier où je vis na jamais été très éclairé et c'est ce qui ma le plus dérangée quand on m'y a assignée.

En effet, depuis la Grande Réforme, nous ne sommes plus maîtres de notre choix quant à l'endroit dans lequel nous souhaitons passer notre vie. À sa majorité, chaque nouvel adulte sélectionne un secteur d'habitation en fonction de son lieu de travail et de son salaire. Pour ceux qui viennent dun secteur plus riche – majoritairement ceux qui ont encore papa et maman pour leur donner tout ce qu'ils veulent – les études longues sont envisageables, contrairement aux orphelins qui sont obligés, faute de moyens, de s'engager dans la vie active dès leurs seize ans (non non, je ne me sens pas concernée).

Pour ma part, le choix na pas été difficile, Elody avait déjà monté son enseigne de fleuriste et ma recrutée dès que jai atteint l'âge légal pour pouvoir l'aider.

Elody Ma prochaine étape...

J'aperçois enfin le panneau indiquant Gardenia House à l'horizon et une bouffée d'angoisse vient serrer mon cœur . Je m'arrête un instant, ferme mes yeux et tente de chasser ce sentiment qui semble ronger les parois de mon estomac. J'essaie de contrôler les tremblements dans mes jambes et reprends ma route. Je m'avance d'un pas faussement assuré vers ce petit magasin qui constitue mon foyer, ma "cellule familiale". C'est le rez-de-chaussé d'un petit immeuble bien plus accueillant que le mien. Il est beaucoup moins grand et sa façade est blanche, tâchée de touches bleu ciel, celles des volets. Un de ces appartements qui rappellent les photos d'Avant : celles représentant des villes côtières, balnéaires, touristiques qui plaisaient tant à la population.

A notre époque, il est rare de trouver ce genre d'architecture. Elody m'a toujours dit qu'elle remerciait chaque jour sa bonne étoile de lui avoir permis d'emménager dans un lieu si chaleureux et élégant à la fois. Malgré mon état précaire, malgré le tournoiement incessant des images du cadavre dans ma tête, malgré la douleur qui continue d'irradier de ma main, j'esquisse un léger sourire. Il n'y a qu'Elody pour me consoler dans les pires situations sans quelle en soit consciente !

Je suis maintenant très proche de l'entrée, si proche que mon reflet se dessine sur la baie vitrée, créant une illusion d'optique qui me transforme en femme végétale, décorée par tout un tas de plantes aux couleurs émeraudes. Encore une fois, j'hésite.

J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure et des sueurs froides qui coulent le long de mon dos. Je n'ai pas envie de faire ce que je m'apprête à faire.

Pour la première fois dans ma vie, j'ai été heureuse, indépendante, épanouie, aimée, et je ne veux pas que cela cesse. Mais la simple image qui apparaît derrière mes paupières en pensant aux conséquences de mon silence, montrant l'arrestation de mon amie car accusée d'être complice d'un meurtre, me donne la nausée. Je ne peux pas me permettre de la mettre en danger. Je ne peux pas lui voler son bonheur.

Je sens une boule obstruer ma gorge et mes yeux me piquent mais j'ignore ces sensations et comble le peu de distance qu'il me reste à parcourir en trois pas francs.

J'arrive enfin devant la boutique, je vois mon amie en train de ranger l'atelier. Elle semble très concentrée. Pour me donner du courage, j'inspire une grande goulée d'air et pousse la porte d'entrée.

AurasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant