CHAPITRE 3 YAËLLE

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Quelle soirée. Je pensais sincèrement expédier l’entretien, après tout il ne faut pas une éternité pour caler deux séances et donner les grandes lignes.

Alors pourquoi suis-je en train d’errer dans cette rue glaciale comme une âme en peine, à essayer de me rappeler désespérément où je me suis garée? A presque minuit Gand Dieu !

Rien ne s’est passé comme prévu, elle n'était pas comme prévu.

Elle m’a d’abord accueilli avec brusquerie comme si c'était elle qui me rendait service et pas l’inverse. Et sa maison? J’ai failli éclater de rire devant le carnage, j’ai immédiatement repensé à l’appartement de ma meilleure amie à la fac, il ressemblait exactement à ça. Je m’y sentais tellement bien à l'époque, en sécurité.

Et puis je l'ai vu. De dos. Elle était si délicate, si gracile ployant sous un fardeau trop volumineux pour elle. L’image d’une Atlas minuscule supportant le poids du monde sur ces frêles épaules s’est immédiatement imposée à moi. Elle n'était que de dos et j’avais déjà une envie farouche de l’aider… à ce qu’elle voudrait. Disparu mon discours pour négocier ces “conditions”  ridicules,je réfléchissais déjà aux créneaux possibles. J'étais prête à me plier en deux pour faire gagner à Guillaume ces “quelques semaines”.

Et elle s’est retournée. J’ai vaguement eu une vue d’ensemble, cheveux longs attachés, brun hormis une mèche blanche, ha? Une coquetterie? Ça ne correspond pas à son style...Heu “je -compte-pas-sortir-de-chez-moi-et-je-vous-emmerde” ? Je reviens sur son visage. Mignonne…Et je me pétrifie. Ses yeux, son regard. Un gris éclatant digne d’un orage d'août en pleine montagne. Quand le ciel est à la fois sombre et brillant aux reflets changeant de seconde en seconde. Et c’est bien un orage que je vois dans son regard, une tempête même.  J’ai une envolé lyrique rien que d’y penser. Baudelaire aurait tué pour les contempler juste une fois. Il aurait su en magnifier la gloire, il aurait… il aurait trouvé les mots qui me manquent, à coup sûr.

Et voilà que je m'emballe à nouveau, les mains crispées sur le volant de ma voiture que j’ai rejointe je ne sais comment. Pourtant ce regard n'est pas seulement magnifique, non il est... Hanté, possédé. La violence brute de l’orage n'est là que pour camoufler.. Autre chose.

Quelques problèmes hein? Un regard, une poignée d’heures avec elle et je pourrais jurer qu’elle a plus que des “petites difficultés”.  Il suffit de voir sa manière de sursauter au moindre bruit, et lorsque nos doigts se sont effleurés quand on a voulu prendre nos bouteilles au même moment... J'ai bien cru qu’elle allait sauter au plafond d’effroi. J’avais alors parlé d’un ton doux, longuement,  pour faire distraction. Ça avait semblé marcher, elle avait fini par se détendre, un peu, me permettant des regards furtifs autour de moi.

Je peux difficilement m'empêcher d'analyser mon environnement et ce soir le moins que l’on peut dire c’est que j’ai été servie. L’appartement lui même m’en a dit beaucoup, les murs blancs ternes dépourvus d’ornementations, l’absence de toutes photos ou bibelots. Rien ne laisse supposer qu'Elle ait une vie en dehors de son imposante installation informatique.

Même les meubles étaient minimalistes un bureau, un canapé, une table basse et c'était tout, le minimum vital en somme. Aucune fantaisie, pas de quoi recevoir plus de deux personnes à la fois et encore. Sa vie sociale à l’air trépidante.

Je rentre enfin chez moi, j’ai tout le mal du monde à me focaliser sur autre chose que sur elle. Pourtant mon pauvre ventre crie famine essayant d’attirer mon attention par un bruitage de plus en plus difficile à ignorer. En même temps ça fait près de 12h que je n'ai rien avalé, cette journée aura ma peau. Un sandwich de restes plus tard je me brosse les dents et file me glisser sous des draps bien trop froids. L'épuisement s'abat sur moi.

Combat à vie (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant