day 2

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«Et ta respiration? Comment ça se présente?»

Cette question est particulièrement idiote. Dans deux mois je serais inerte, blanche, et morte, voilà comment ça se présente. Mes parents sont présents dans la pièce, je ne peux évidemment pas répondre ça, même si ils savent pertinemment que je le pense.

«Pour l'instant, ma respiration ne me gêne pas.» lançai-je avec un regard lourd de sous-entendus.

Dans un soupir il détourne les yeux puis retire sa main de mon ventre, aussi plat que mes fesses. Les murs de la salle sont aussi blancs que ceux de la maison, je vous laisse deviner combien de murs me recrachent la tristesse de la famille à la figure. L'un des nombreux inconvénients de la mort est qu'elle blase le condamné. On n'attend rien, rien de bon, rien de mauvais, on n'attend même pas. Ou plutôt, si, on attend jusqu'à la mort, on attend ce moment, car jusqu'à ce qu'elle arrive, on ne croisera rien d'autres que les mêmes yeux, les mêmes regards tristes, les mêmes visages tristes, les mêmes vies brisées.

«Alizée t'attend pour quelle heure?» me dit mon père, un faux sourire bienveillant collé au visage.

J'avais presque oublié que je devais voir Alizée cet après-midi. Je sors mon portable, histoire de demander directement à la principale concernée à quelle heure nous nous retrouvons. Mes parents détestent me voir sortir en ce moment.

«Je lui ai demandé, depuis...» je marque une pause, ne sachant comment formuler ma phrase «Depuis quelques temps, elle est pendue à son téléphone, elle répondra vite.»

Inutile de préciser que c'est depuis que le médecin lui a apprit que j'allais mourir. La mort rend populaire également. Bien que je ne doute pas de son attachement sincère à ma personne. Effectivement, la réponse est presque instantanée. Le jour où Alizée a apprit que je ne vivrais pas plus de deux mois, elle m'a demandé, ou plutôt supplié de commencer mes messages par "Alizée chérie" histoire de savoir que c'est moi qui parle, et que je ne suis pas décédée, et qu'elle ne fasse pas un infarctus à chaque fois que mon numéro s'affiche. Je transmets à mon père l'heure à laquelle je dois me rendre au point de rendez-vous; et après avoir opiné il récupère cet air faussement calme qu'il tient lorsqu'il ne laisse pas son air désespéré s'emparer de ses traits. Si la situation n'était pas si tragique, je tousserais rien que pour le faire sursauter, mais ce n'est pas drôle le moins du monde.

Après cinq bonnes minutes je tourne la tête vers mon petit frère assit derrière mon père sur son siège enfant. Il me regarde avec ses beaux yeux noisettes, qu'il a hérité de mon père. Un air défait se trace sur son visage et j'en reste bouche-bée.

«Léo, qu'est-ce qui ne va pas?»

Il tourne la tête, sans me répondre, et se met à regarder par la fenêtre. Ses petites lèvres tremblotent et je jurerais qu'il est sur le point de pleurer.

«Léo, mon chéri, regarde moi, tu veux?»

Je lui attrape le menton et le tourne vers moi. Une rivière de larme s'efforce de rester dans ses yeux.

«Eva, tu vas partir loin? Pour toujours?»

J'écarquille les yeux, mon père écarquille les yeux, ma mère écarquille les yeux, le monde écarquille les yeux. J'attrape son visage et l'enfoui dans mes bras en retenant mes larmes.

«Je suis là, regarde, je suis là, tout va bien.»

Il pleure enfin, se laissant aller. J'ai eu tort. Il comprends très bien. Il voit, il entend, il écoute. Il ne dit juste rien, parce que c'est un petit garçon, il peut faire semblant, il ne comprend peut-être pas tout mais chaque ambiance dans laquelle il vit lui indique que bientôt il sera l'unique enfant de la maison.

the world of a dying womanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant