Je m'assieds dans le canapé gris, moelleux, usé jusqu'à la moelle. Je m'assieds et j'attends. J'attends que quelqu'un dise quelque chose. Ils me regardent tous de leurs yeux vides. Des fois je me demande quel genre de vide c'est, et s'il y a un genre de vide. Parce que le vide de leurs yeux il en dit long, alors que le vide des yeux des gens morts, lui, il ne dit rien. Le vide dans les yeux des gens qui souffrent est différent du vide dans les yeux des gens qui ne comprennent pas ou de celui dans les yeux des personnes qui sont bêtes. Et pourtant, tous ces vides n'ont pas de nom, peut-être que ce sont les mêmes et que c'est simplement nous qui interprétons. Ou juste moi, seule, au milieu d'eux tous. Je suis en robe, parce que si je ne suis pas belle aujourd'hui, ils vont penser que j'ai abandonné la beauté et la vie, je le sais.
Je me racle la gorge, histoire d'inciter à la parole, mais toujours rien. Je me doute que c'est compliqué, ils se regardent tous entre eux. La réunion de famille « bientôt », je ne pensais pas à un « bientôt » aussi proche. Je pensais pouvoir prendre le temps, juste assez pour pouvoir y faire face. Non.
« Bon eh bien, je vous propose de faire l'apéritif. » tente mon père.
Tout le monde hoche la tête. Mon petit frère joue avec ma cousine à l'étage, je monte le chercher. Lorsque nous descendons je ne peux m'empêcher d'espérer que leur bonne humeur influe sur les adultes, mais nous savons tous que ce sont les adultes qui influencent les petits. Alors ils se taisent, aux aussi. Durant l'apéritif, chacun prend des nouvelles très sagement
« Et le travail ? »
« Comment vont les jeunes ? »
« Tu as trouvé un bon détergent ? »
Evidemment, personne ne parle de sa tristesse. Une fois de plus, je divague, prise dans mes pensées. Personne n'ose me parler, me demander comment ça va (ce qui parait plutôt logique), alors je peux totalement penser à autre chose. Si l'on parlait de la tristesse, est-ce qu'elle se détacherait des murs ? Est-ce qu'elles se fondraient dans l'oxygène projeté et disparaîtrait après s'être doucement mêlé aux larmes et aux paroles ? Dans cette famille on ne parle pas, on ne dit pas. Parce que c'est dur ou bien parce qu'il en faut pas. On ne sait pas trop. Et je ne peux pas m'empêcher, à mon plus grand malheur, d'espérer qu'après ma mort tout changera, que les vannes s'ouvriront. Que les gens commenceront à parler, à dire les choses, qu'ils pleureront ouvertement, et que mon petit frère ne prendra pas le syndrome du « je ferme ma gueule ».
« Eva allo ? Tout va bien ? »
Je pose mon regard sur celui qui me parle. Mon grand-père, le seul être dans cette pièce à ne pas montrer combien il est triste. Mes parents pensent que maintenant qu'ils sont tous là, ils peuvent afficher sur leur visage leur souffrance, qu'ils se fondront dans le décor. Ils n'ont pas tort. Ils se fondent dans le décor. Mon grand-père me fait des signes avec ses bras.
« Pardon j'étais dans mes pensées. »
Il me fait un clin d'œil.
« ta mère nous a dit que tu prenais des cours de piano, comment ça se passe ?
- Tout va bien. Il est très gentil et j'apprends très vite. »
Il me sourit et acquiesce, puis me laisse de nouveau divaguer et ce jusqu'à la fin du repas.
Je scrute les murs de marbre du bâtiment devant moi. Pour la première fois depuis des semaines, je suis la plus triste des personnes présentes dans un périmètre de plusieurs dizaines kilomètres. Le bâtiment de la faculté d'art se dresse devant moi, et personne à part quelques personnes de mon cours ne me connaît. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Aujourd'hui, tout est difficile, le repas de famille, la visite à la fac, et la décision d'aller ou non chez Jeremy.
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the world of a dying woman
Non-Fiction«La mort n'est pas une rupture, c'est la fin.» Eva a 18 ans et n'a que deux mois pour apprendre que si la fin t'es imposé, le nombre de pages pour écrire l'histoire n'en est pas moins illimité.