Chapitre II

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Les rues étaient sombres, et le vent faisait voler dans les airs les étoles de dentelle déchirées de la femme. Elle avançait rapidement, tenant son enfant entre ses bras, et Frankenstein marchait à ses côtés. Seul le sifflement des bourrasques brisait le mutisme qui s'était installé entre eux deux.

La jeune dame se nommait Elizabeth D'Arenberg et elle était une bourgeoise dont la famille était établie dans la capitale depuis des générations. Elle avait fait ce qu'on appelle un «bon mariage» avec un notaire parisien et vivait dans le manoir de son mari, aux côtés de leur fille et de quelques membres de la parenté. L'enfant se prénommait Fadèle.

-Dépêchons-nous, monsieur Victor... Elle tremble.

Frankenstein observa quelques instants le visage blême et épuisé de la fillette, et déclara en accélérant le pas:

-C'est sans doute une allergie, ou une intoxication alimentaire. J'ai heureusement les connaissances nécessaires pour la soigner, mais il faut l'emmener dans un endroit isolé et chauffé. Est-ce encore loin?

-Non, juste derrière ce coin de rue... Nous y voilà!

Ils s'arrêtèrent devant une grille noire et haute, au 4, rue des Aubépines. Le manoir était sombre et immense, avec de grandes tourelles et des balcons de style victorien. Un drapeau flottait sur la plus haute flèche de la tour centrale. Des lumières étaient allumées, et des rideaux de velours recouvraient les grandes fenêtres de la façade.

Un frisson d'angoisse parcouru Elizabeth, qui baissa les yeux sur sa fille qui gémissait doucement dans ses bras. Le portail était verrouillé... Normalement, les domestiques seraient déjà venus à leur aide,  mais l'allée restait désespérément déserte.

-Madame, nous n'avons plus le temps. Je vais chercher du secours, restez ici avec elle. Si elle perd connaissance, couchez-la sur le sol et attendez mon retour.

Et avant qu'elle ne puisse le retenir, Victor Frankenstein attrapa la barre principale de la grille, et commença à l'escalader résolument.

-Monsieur Victor, vous allez vous blesser! Ah... mon Dieu. Descendez, s'il vous plait!

L'homme ne prêta aucune attention à ses supplications et atteignit le haut du portail de fer avec une agilité surprenante. Chacun de ses mouvements était parfaitement mesuré  et équilibré, et une détermination à toute épreuve brillait dans son regard. Il sembla à Elizabeth qu'elle contemplait un être inhumain qui jouait avec la mort pour parvenir à son but, et elle ferma les yeux, complètement terrifiée.

Quand elle les ouvrit, il était déjà passé de l'autre côté, et courait en direction du manoir, son manteau noir voltigeant dans le vent. Elle appuya une main sur la grille froide, et le vit frapper trois coups du heurtoir. Le majordome vint ouvrir, et ils se précipitèrent tous les deux vers elle.

Elizabeth se sentit si soulagée qu'elle en aurait pleuré, et serra Fadèle entre ses bras, déposant un baiser sur son front chaud et fiévreux. La grille fut ouverte et elle s'élança dans la cour, courant à perdre haleine.

Frankenstein la suivait de près, et les domestiques ouvrirent les portes.

La maison était froide et silencieuse. Des rangées de bougies s'alignaient près des tapisseries sombres du rez-de-chaussez, et des portraits accrochés au mur, vieux de plusieurs dizaines probablement, donnaient un air sinistre à l'endroit par leurs couleurs fanées.

Clac... Clac.

En haut de l'escalier, une silhouette noire apparut brièvement. Une ombre noire aux longs cheveux et aux yeux de charbon qui restèrent fixés sur le nouveau venu. L'œil aiguisé de Frankenstein la repéra immédiatement, et elle disparut derrière une tenture. L'homme pencha légèrement la tête de côté, intrigué.

-Hum?  Il semblerait qu'il y ait des choses intéressantes ici.

Puis il se détourna de l'escalier et prit la petite Fadèle entre ses bras. Elizabeth, un peu surprise mais soulagée qu'il prenne la situation en main, le laissa faire, et ils montèrent à l'étage, suivis des domestiques effarés qui ne comprenaient rien à ce qui se passait.

L'heure qui suivit ne fut que désordre et panique. Au cœur de ce tourbillon de lamentations, de pleurs et de craintes, Victor Frankenstein garda son sang-froid et prêta main-forte au personnel de la maison. Il étendit l'enfant sur un grand lit, dans la chambre de l'étage, et appliqua successivement compresse froide et cataplasme sur son front, tout en la rassurant. Elle semblait délirer et ne reconnaissait plus sa mère. Les domestiques allaient et venaient sous les ordres du docteur qui demandait des médicaments, et une fois la petite fille hors de danger, Frankenstein s'éloigna lentement de la chambre, laissant la mère et l'enfant seuls ensemble.

Il fit quelques pas dans le couloir. Personne, le silence absolu. Tous étaient encore à l'étage, au chevet de Fadèle.

Il esquissa un sourire sombre et serra les doigts sur le coffret de l'antiquaire.

-Hé bien. À nous deux.



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***

Ha ha, quel suspense. Je ne spoilerai pas mes propres chapitres, mais dans le prochain, l'action démarre. Accrochez-vous bien.

-Lou-Ana-

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