Imploser

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Il revint une nuit de pleine Lune, et ce fut le tour de sa tendre étoile de le quitter.

Le jeune homme revint, avec sa force et sa chaleur nouvelle. Il lui revenait plus fort, plus passionné, plus lumineux et ardent que jamais il ne l'avait été dans sa vie. Il lui revenait en Guerrier-soleil. Le Soleil dont manquait son Astre.

Mais sa Rédemption, ayant duré des mois durant, laissa bien en peine sa jeune amante. Délaissée dans un ciel obscur et sans fin, elle perdit peu à peu pied dans l'immensité de l'univers. Elle se laissa peu à peu avaler par le cosmos affamé, tant son cœur était desséché, craquelé par l'absence de sa lumière.

Elle l'avait attendu, des nuits et des nuits durant. Il était parti sans dire un mot, sans laisser de trace, sans un signe, sans signe de vie. Il était parti en lui arrachant le souvenir heureux de leurs étreintes nocturnes et elle se réveillait dans ses draps de soie et de songes esseulée, apeurée, sans comprendre pourquoi survenait en cet instant l'abandon tant repoussé, tant répugné. Elle ne comprenait pas, elle ne pouvait comprendre. Où es-tu donc passé, mon tendre Corbeau ? Ne t'ai-je assez aimé pour te garder ?

Elle décida de ne plus pouvoir dormir dans ce lit de soie et de songes qui avait accueilli tant de leurs danses passionnées et d'élans lumineux de leur fusion. Elle s'évanouissait de fatigue, frêle et délicate, vulnérable, la pâleur nébuleuse se reflétant sur les os saillants de son enveloppe charnelle. La Lune Mère la protégeait grâce à son éclat, qui la nourrissait encore un peu, encore assez, pour la faire respirer encore une nuit, dans l'espoir que son Corbeau revienne la ranimer. Elle se laissait dépérir. Seule la Mère savait la raison de son départ, mais elle ne pouvait en souffler mot à son enfant l'Astre. Celle-ci désespérait chaque nuit un peu plus un retour qu'elle fabulait, et croyait ne jamais plus pouvoir arriver.

****

Il revint cependant. Il revint, éclairant la Terre auparavant calcinée par ses pattes ensanglantées de Corbeau d'une lumière nouvelle, vive et contagieuse, d'une lumière de Guerrier-soleil. Il représentait une joie et une puissance nouvelle. Son corps semblait plus dessiné, plus aguerri, dressé face à la vie et fier, et son âme était protégée par l'armure quasi-invincible du Guerrier, faisant de lui un être de courage et d'ardeur. Il s'attendait à retrouver sa petite Astre toujours aussi éclatante, d'un argent à la lueur délicate, mais fut diablement surpris de retrouver à terre la dépouille de son aimée, écartelée de mille tourments, déchirée par l'attente. Il s'agenouilla près de l'écorchée et la couva, un temps qui ne se mesure pas.

La Mère surveillait de près ces retrouvailles et les protégeait d'un cocon, afin d'aider au mieux à raviver la flamme de cette petite Astre qui se laisser éteindre par un abandon trop profondément craint.

Elle ne sentait pas, elle ne voyait pas qu'il était de nouveau à ses côtés et qu'il passait lentement ses mains dans ses cheveux, en chuchotant près de son oreille combien il était navré d'être parti sans dire un mot, combien il était peiné que le sort en ait été ainsi, combien il la chérissait de toute son âme nouvelle et combien il était devenu lumineux pour réchauffer tous ses tourments. Elle n'entendait pas. Elle était enfermée dans une nuée de douleurs, elle était devenue un Astre de souffrances et son cœur s'enflammait, calcinait, malgré le pouvoir guérisseur des rayons nébuleux, qui ne pouvaient désormais rien pour elle.

Elle n'entendait que les voix sardoniques de son passé, que les horreurs prononcées, les cris, les injures des parjures. Elle ne revoyait que leurs visages tordus d'animadversion, l'exécration les rendait laids, terriblement laids. Leurs yeux étaient percés, plissés de répulsion et d'écœurement, et leurs corps bossus et crochus de haine et de méchanceté. Ils étaient ses démons. Ses infidèles, ses délateurs, ses traîtres.

Elle ne voyait, ne sentait, n'entendait qu'eux et leurs cris perçants la nuit noire. Cependant, son amant resta près d'elle quand elle hurlait, quand à ses yeux perlaient de tendres larmes, quand son corps convulsait de supporter tant de tourments. Son Guerrier restait près d'elle et la couvait de douceurs, de tendresses et de délicatesses, afin de ramener son âme à la lumière, comme elle l'avait fait avec la sienne.

***

Elle s'éteint.

La nébuleuse perdue au fond des yeux, un mal étrange s'appropria peu à peu son squelette telle la glycine grimpante et dévorante. Elle se sentit partir, faiblir, se laisser envahir par un glacier malveillante, évoluant lentement à travers les branches laiteuses de sa cage thoracique afin de se frayer un sinueux chemin jusqu'à sa petite et puissante étoile bouillonnante au creux de sa poitrine.

Jamais tortionnaire n'avait éteint plus lentement une lueur, avec tant de vice et d'acharnement à la destruction de tout espoir de voir un jour se rallumer cette insupportable étoile, qui avait osé s'approprier un Corbeau condamné à l'ombre pour le ramener à la clarté. Sa danseuse vaporeuse secrètement succomba au brouillard et s'assombrit. Elle s'évapora de ses bras et se brisa en innombrables volutes de fumée nocturne, sombre et épaisse, semblable aux ectoplasmes de la lune, venant chercher les âmes perdues, échouées sur Terre.

Il la chercha longtemps, la flamme de vie de son aimée, ne sachant où poser ses yeux hagards et meurtris de douleur. L'on m'arrache donc mon unique espoir de rédemption, l'unique lueur qui sauvait mon âme de la perdition ! On me prive donc de l'ardeur de sa peau, la chaleur de ses yeux, la violence de ses baisers, seulement après m'avoir autorisé à y goûter et m'en imprégner jusqu'au tombeau !  Sa démence et sa violence resurgirent avec la seule expectance de ressouder les bribes de néant autour de lui la lui rappelant. En tout astre, il gémissait son nom sous les assauts brutaux de son cœur menaçant seulement d'imploser.

Elle, était perdue dans un dissonant cosmos d'ombres et de murmures. Tâtonnant tout en gisant, elle ne trouvait plus l'issue, l'éclipse libératrice qui lui assurait qu'il était possible de retrouver la lumière. Elle se laissait consumer et dévorer par des démons psychiques et physiques et perdait son éclat à mesure que les combats dominaient sa puissance désormais harassée. Elle ne trouvait bientôt plus nul courage, nulle force en elle pour se relever et parvenir à s'enfuir, à le retrouver, l'enlacer tant que leurs côtes pouvaient se confondre et se fondre, provoquant l'incandescence de deux corps mortels et putrescents, ne trouvant leur éternité que l'un dans l'autre, que par l'unification et leurs retrouvailles embrasées.

Elle s'éteignait, et il la voyait s'évaporer à travers ses doigts inutiles, impuissants. Elle lui échappait, et il se maudissait de n'avoir pas su comprendre que c'était elle, elle qui lui semblait si forte, si lumineuse, qui au fond était la plus vacillante, la plus fragile. Il n'avait pas su deviner que c'était elle qui avait le plus besoin de lumière afin de ne pas faiblir et s'éteindre.

Il hurla à la Lune Mère qu'il la rallumerait, et qu'irrémédiablement il l'aimait d'un amour incandescent, trop ardent pour accepter qu'elle puisse s'éteindre.

Chacun perdu dans un univers à des astres de distance, ils eurent clos leurs yeux avec le tendre souvenir de l'espoir que représentait leur union, avec la nouvelle prière envers la Lune d'éclairer le sentier les menant de nouveau l'un à l'autre.

« Soles occidere et reddire possunt »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant