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SAISON 2, épisode 3

C'est presque la fin de cet atelier d'écriture : la 3e séance. Nous avons à peine eu le temps de nous découvrir les uns les autres. Pourtant nous avons tous fait du chemin dans notre écriture et dans notre appréhension des choses. Nous avons écrit des textes que nous n'aurions jamais produits sans cet atelier. C'est ça la magie : il n'y avait rien, puis il existe quelque chose.

Pour cette ultime séance, notre professeur nous tend à nouveau des demi-feuilles blanches, puis nous demande d'écrire dessus une action que nous avons hésité à faire dans notre vie, que nous n'avons pas faite et qui aurait changé notre vie si nous l'avions faite. Vous me suivez ? Cela peut être épouser mon premier amour, accepter ce poste dans une petite entreprise, tout plaquer pour devenir apiculteur, passer un diplôme d'instituteur, etc.

Ensuite, la prof ramasse les feuilles. Elle nous les redistribue de sorte que chacun se retrouve avec la feuille d'un autre élève. A partie de ce qui est écrit dessus, la prof nous demande d'écrire un texte où le personnage hésite puis décide de faire ce que l'élève a écrit sur la feuille. Pour cet exercice, nous sommes libres de continuer le texte précédent ou d'en inventer un autre tout neuf.

Sur ma feuille, quelqu'un a écrit « je voulais être juge pour enfant, mais je n'ai pas pu à cause de tensions familiales ». Alors ça c'est pour moi ! Avec mes études de droit je connais le sujet ! Attention, la prof nous demande de bien explorer le sentiment d'hésitation, la difficulté du choix sous forme de monologue intérieur. Les pensées doivent aussi s'exprimer par frottement avec le monde extérieur (pluie, journal TV, rue, etc.). Nous devons nous arrêter au passage à l'acte ou à la prise de décision. Pour écrire mon texte, je suis partie d'une étudiante en droit qui hésite entre les métiers d'avocat et de juge pour enfant. Voici mon texte, comme toujours original, écrit en 30 minutes (moins 5 minutes car je suis allée aux toilettes), et non modifié. Pur comme un nouveau-né !

Fallait-il prendre le parti de la défense ou du jugement ? Depuis le début de mes études de droit, la question me taraudait. D'abord, que signifiait incarner la défense ou rendre le jugement ? Sur le chemin qui mène à l'université, je cherche la réponse sur les branches des arbres, j'entends d'ici un merle qui pourrait me souffler la solution. Une chose est sûre, que je juge ou que je défende, les enfants seraient au centre de ma carrière. Oui, les défendre, jeter toute son âme dans la plaidoirie, toucher le cœur de la cour et sortir l'enfant des griffes de son destin. Mais quand on défend, on n'est sûr de rien. Ou de si peu. Enfin, on fait de son mieux. Avec ses convictions. Son code pénal. Et la misère humaine autour. Oui mais œuvre-t-on vraiment pour une cause si on ne peut jamais trancher ? Trancher dans les vies comme on tranche le gras du jambon. Ceci est mauvais, je l'éloigne.

Au bord du trottoir, un petit bonhomme rouge s'allume au bout de son poteau. Signe d'impuissance ! Stoppé net ! Et si c'était ça la vie de l'avocat ? Rester à la limite de l'important. Toujours arrêté au pied de la décision. Sans pouvoir.

Le magistrat lui, derrière le velours noir de ses paupières, secoue ses nuits d'insomnie. Assis contre son oreiller, il s'interroge. Faut-il en conscience envoyer l'enfant en résidence chez son père alors qu'on le sait instable. Oui mais si l'enfant se sent mal chez sa mère, et qu'il dépérit... En effet, la femme que je viens de croiser n'a pas l'air commode. Je plains déjà sa progéniture ! Alors ? L'orphelinat ? Les services sociaux ? C'est pire que tout. Et les frères et sœurs ? Faut-il les séparer pour les envoyer en famille d'accueil ou les laisser ensemble au couvent ? De quoi passer des nuits blanches. Et la réponse n'est pas toujours gravée dans le marbre de la jurisprudence ! On vous soumet toujours des cas nouveaux ! Et pour décider, vous êtes seul.

Je ne sais plus, c'est exaspérant. La langue de feu de la magistrature s'abattra-t-elle un jour sur mes épaules ? Les pentecôtes judiciaires, ça n'existe pas. Les solutions viennent toujours du côté où on ne les attend pas.

Au pied de la porte qui mène à l'amphithéâtre, un sans abri et son petit garçon sommeillent sous une couverture. Sans leur demander leur avis, je leur achète deux menus à la boulangerie d'à côté. Cette fois au moins, j'ai décidé.

Quand j'ai lu mon texte, les gens de l'atelier ont beaucoup ri au moment où je parle de l'oiseau qui pourrait souffler la réponse et aussi lorsque je plains la progéniture de la femme que je croise dans la rue. La prof quant à elle, a trouvé très bien la chute. Mois je n'aime pas trop cette fin car avec les sans abris on tombe un peu dans la pitié, le « pathos ». Mais bon, c'est la seule idée que j'aie eue au bout des 25 minutes.

La prof nous remercie pour cet atelier, elle espère qu'il a répondu à nos attentes. Pour moi c'est tout à fait le cas. Le fait d'avoir mélangé des éléments personnels avec ceux d'autres élèves m'a montré comment je pouvais partir de mon quotidien pour ajouter d'autres choses et ainsi faire un texte qui s'adresse aux autres et pas uniquement à moi. Sinon, il suffit d'écrire un journal intime ! J'ai passé de très bons moments de création pure, ces moments où une idée se dessine en quelques secondes dans votre esprit et s'impose à vous à partir de rien. En un mot, je suis ravie !

Bon, la semaine prochaine, c'est la saison 3 qui commence, mes enfants. Le sujet est : construire un roman. Rien que ça !

L'atelier d'écritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant