Cas 1, Partie I

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La sonnerie du midi retentit. Je me lève, préparée à l'avance , mes lacets refaits, ma queue de cheval resserrée. Visiblement, les autres élèves ont fait de même, vis à vis du brouhaha qui résonne, sous l'oeil du professeur, habitué.

"On mange quoi, ce midi ?"

"Hanako a violon, elle viendra à 13 heures."

"J'ai honnêtement la flemme de l'attendre, on peut pas y aller ?"

"Hé, le cours de Sciences c'est après, non ? On avait quoi comme devoirs ?"

Je passe outre ces conversations, et file vers la porte d'entrée. Mes pas se réverbèrent dans le couloir, tandis que je me hâte pour sortir de mon école, mon estomac gargouillant, anticipant le plat que j'engloutirais délicieusement dans quarantes minutes, bien au chaud chez moi.

Mon téléphone est sur le point d'être déchargé, et mes écouteurs sont cassés. Rien qui puisse me couper du monde, cette fois-ci. Autant l'accepter et s'emplir des bruits aux alentours pour les 20 prochaines minutes, alors ?

J'ai appris que traverser à pied prenait moins de temps que d'aller à la gare. Me voilà donc sous le ciel bleu, le soleil qui ne brille pas assez. La brise légère. Des bruits de moteur peuvent être entendus au loin. C'est en quelque sorte agréable, et me donne une impression de fraîcheur. Le monde est comme enveloppé par un filtre argenté. Dans quelle saison sommes-nous actuellement, déjà ? J'ai oublié ce genre de choses, aussi.

J'avance le long de la route, tiens fermement le cartable sur mes épaules. Mes jambes me font mal.
Les alentours se trouvent étrangement vides. Il y a quelques personnes qui avancent, des voitures qui déboulent, des oiseaux qui picorent, ou des feuilles qui remuent. Mais néanmoins, presque aucun son n'en sort. Tout est plongé dans un silence sollennel, les couples côte à côte, les travailleurs sortant de leur automobile garée. Cette sensation de mal à l'aise qui en suit est peut-être liée au fait que d'habitude, je me coupe de l'extérieur avec mes écouteurs. Cela est très probablement habituel.

Mais malgré tout, l'absence de vie, mon décollement de la réalité, me donne des vertiges. Je m'arrête, fixe mes chaussures.
C'est vrai qu'en ce moment, tout ne va pas en général. Je le savais déjà, mais cette certitude me fait encore plus face, maintenant.

Je secoue la tête, fait un léger saut. Je suis empreinte de l'envie de m'échapper. Cela me rendra sûrement mieux. Passer par un autre chemin, peu importe s'il sera plus loin pour m'emmener chez moi, peu importe si je sentirais mes intestins vides se contracter.
Et au moment-même où cette idée me passe par la tête, se trouve à mon côté droit une bifurcation.

Je prends ce chemin d'un pas décidé, l'accueillant comme s'il fut tombé du ciel. Il s'agit d'une ruelle simple, un peu bourgeoise, si j'en crois les voitures de marque et les maisons assez imposantes. Le soleil n'atteint pas le sol, et tout est plongé dans une sorte de pénombre, malgré le ciel bleu et le lampadaire baigné de lumière. Cela me semble assez étrange, mais mes sentiments ne sont pas assez amplifiés par rapport à mes attentes. Je me sens toujours éloignée de la réalité, comme un film plastique faisant la différence entre mon esprit et la vie.
C'est dommage. Mais autant continuer à avancer.

Le vent souffle de plus en plus. Ma frange me pique les yeux, que je ferme aussitôt. C'est assez agréable, je me met à penser. Comme un retour à la réalité. Les feuilles des arbres voguent. Un sac plastique s'envole. J'arrive au bout de la rue. Une impasse. Devant moi, surplombant toutes les maisons et les bâtiments que je peux apercevoir au loin, se trouve une grande horloge. Les aiguilles d'or indiquent l'heure, tandis qu'une fine aiguille argentée avancent au rythme des secondes, en un bruit calme, discret, mais qui résonne dans mes oreilles.

Je n'avais pourtant pas vu cette horloge auparavant...?
Un frisson me parcoure l'échine, mais je reste mesmérisée par cette vision. Il y a quelque chose de bizarre dans le marbre légèrement rosé, ces tics-tacs qui résonnent. Je repense à une vieille discussion, que j'enfouis directement à nouveau dans un creux de mon esprit.
12h15.
Une cloche résonne, faisant écho  dans la rue. Néanmoins, cet écho s'arrêta brusquement au bout de quelques secondes. Je cligne des yeux. Le vent ne souffle plus non plus. Et l'horloge ne produit plus aucun son.

J'y jette un coup d'oeil. Elle s'est arrêtée à 0 secondes. Mon coeur tambourine dans ma poitrine.



Je finis par me détacher de l'horloge, et regarde les alentours. La rue ne semble pas avoir changé. À vrai dire, maintenant que j'y pensais, c'était une ruelle qui m'étais totalement inconnue, alors que je faisais régulièrement ce trajet. Ça ne me disais rien. Est-ce que c'était une sorte de piège...? Je me retourne, et pars en marchant, finis par augmenter ma marche pour courir et revenir sur la route principale. Je n'ai aucun problème à en sortir. Soupir de soulagement. Pourtant, la rue est vide. Les oiseaux ne chantent plus, il ne reste aucune forme de vie. Le ciel, d'un bleu déjà étourdissant, se trouvait encore plus intense, tandis que le reste du monde semblait avoir légèrement perdu de sa couleur, comme un filtre sépia. Je cligne des yeux. Je m'attends à sentir la peur s'infiltrer en moi, mais il n'en est rien. Pour la première fois depuis longtemps... C'est plutôt de l'adrénaline qui parcours mon corps, comme des décharges électriques au bout de mes doigts. 

Je marche lentement. Les feuilles des arbres ne bougent pas d'un millimètre. Les voitures sont présentes, même sur la route elle-même, mais il n'y a personne dedans. Le monde est figé, creux. J'arrive sur le boulevard principal de la ville. Même chose. À une exception prête. 

Je vois une forme humaine, allongée sur la place. Aucun signe de vie. Je m'approche. Je suis à présent à quelques mètres de cette forme, et je m'accroupis pour la secouer. 

Jusqu'à ce que je remarque la tache rouge coulant sur le goudron, et la traînée de sang en face de moi. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi... Des boyaux. 

Je ne hurle pas, mais je peux sentir mon coeur redoubler de vitesse, alors qu'il avait déjà un rythme supérieur à la moyenne. Cette scène n'a aucun sens. Je retourne le cadavre. C'est un collégien, aux cheveux vert menthe, le ventre complètement déchiré, comme si quelque chose en était sorti. De sa bouche coule du sang, mais pourtant, malgré le rouge qui teinte la plupart de son corps, son expression est docile, comme résignée. Je grince des dents. Il y a clairement un danger, ici. Et je ne veux pas finir comme lui. Après la traînée de sang, je peux voir des traces de pas, se dirigeant vers un endroit, continuant presque sans fin. C'est probablement la cause de cette chose

Et pourtant, je ne peux m'empêcher d'avancer. Je trottine vers le chemin formé, le rouge profond ressortant sur les couleurs délavées. Je remonte une rue commerciale, vide. Il y a une forme, au loin. Je continue à avancer, mais ralentit, essoufflée, avant de finir par courir de plus belle. La forme se rapproche. Quand je la vois, je finis par m'arrêter, mon estomac vide retourné. Je ne veux pas vomir. Mon regard s'attarde sur un verre, au bord d'une table, sur le point de tomber, mais figé éternellement. 

Devant moi, se trouvait une grande silhouette, dont je ne pouvais voir que la traînée de cheveux menthe translucide tombant au sol, et deux grandes cornes, tels les bois d'un cerf, un bruit de carillon s'en échappe. Je reste bloquée, médusée. Et à ce moment, la figure se retourne. 

Mais avant que je pu voir quelque chose, le verre tomba par terre, et ma vision devient floue.

Un passant me bouscule, et je reviens à la réalité. Je me trouvais dans la rue commerçante, bondée de monde comme d'habitude. Le ciel est bleu. Le monde est comme enveloppé par un filtre argenté. Je regarde ma montre. Il est 12h16. 

La barrière entre ce monde et le mienWhere stories live. Discover now