Cas 1, Partie IV

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Encore une semaine terne de passée. Je suis assise sur un murret, grelottante dans le froid, mains engourdies. Aujourd'hui, le ciel est nuageux, d'un gris uniforme, d'une profondeur sans fin. Lassant à regarder, en somme. Je jette un coup d'oeil à ma montre, qui m'indique qu'il est 12h02.

Cette fois, pour ne pas arriver en retard, j'ai séché les cours de la matinée, et suis venue à 11h45. Faire semblant d'être malade était plutôt facile. Mes parents m'ont juste regardée avec pitié, et m'ont laissé la maison.
Si je possédais vraiment ce qu'ils pensaient, ils auraient mieux fait de ne pas me laisser seule. Mais je radote.

Je balance mes pieds d'avant en arrière, et observe les gens dans la rue, me concentrant sur la couleur de leurs cheveux. Brun, vert, bleu, roux, blond, noir. Mais aucune nuance de vert menthe. Pourtant, il devrait bientôt arriver.

Régulièrement, je me tourne à ma droite, là où la rue est censée apparaître. Mais toujours rien. Je commence à devenir impatiente, et finis par allumer mon téléphone. J'avais reçu un message il y a deux heures, d'un contact inconnu.

"Est-ce que ça va ?
PS : C'est Hitomi, j'ai demandé ton numéro ^_^"

Je pianote un "Oui, suis malade, tkt pas pour les cours et merci", sauvegarde son contact, et regarde à nouveau l'heure. 12h08. Le temps passe plutôt vide.  Je me tourne légèrement, et sursaute, manque de tomber du mur.

Elle est apparue. Je me lève, pose en un grand geste mon sac sur mon épaule. Le vent souffle comme pour m'éloigner de la rue, ma frange me fouette les yeux. Néanmoins, je mets le pied devant l'autre.
Mon coeur bat la chamade.

...Est-ce qu'il m'avait déjà parlé de quelque chose comme ça ?

J'arrive enfin devant l'horloge, à nouveau. J'essaie de me rappeler rapidement de ce que j'ai écris dans le carnet, toutes mes suppositions, mais j'ai fini par l'oublier. Je ne peux que fixer la grandeur du marbre rose.
Il est actuellement 10. Je ne sais quoi faire, à part continuer à dévisager l'aiguille, me concentrer sur ce tic-tac. Un bruit inhabituel résonne. Comme les pas de quelqu'un. Ça se rapproche. J'entends une voix masculine, un peu aigue ;

"Mais qu'est-ce que tu fais là ?!"

Je souris, sans me retourner. La personne est trop évidente. Je me contente de dire :

"Je ne me suis pas sentie visée par ce que tu as dis hier; Je suis humaine."

Je l'avoue, j'ai passé plusieurs heures à peaufiner cette phrase. Sinon, je ne l'aurais pas sortie avec autant d'assurance.

Le gong retentit, et je décide enfin de me tourner, pour apercevoir le collégien, les yeux écarquillés. Il essaie d'ouvrir la bouche, mais ne fait que gargouiller.
Et il tombe à genoux, tandis qu'une main sort de son estomac.

Un mélange de choc et de terreur m'empêche totalement de bouger, tandis que le garçon retient un hurlement, du sang coulant de sa bouche et de son nez. Enfin, une figure plus grande d'un mètre que moi apparaît, s'époussetant, le sang et autre liquide partant d'elle élégamment jusqu'à ce qu'il ne reste plus une goutte.

Je recule. Mais le monstre n'avance pas. Il frappe avec inadvertance le cadavre à côté, et se retourne en le sentant. Une voix qui semblerait amplifiée résonne partout autour de moi :

"Oups."

Je suis à présent adossée à l'horloge, face à face à la créature. Son visage est inhumain, ses yeux globuleux sont d'un bleu marine dans lequel je pourrais me perdre, ses cheveux sont infiniment longs et retombent sur le sol. Ses bois sont couverts de clochettes et de carillons. Son corps est très disproportionné, ses jambes sont deux fois plus grande que son corps, et n'ont pas de pied, mais des serres qui font s'effriter le sol. Seul ses mains sont à peu près normales, ce qui contribue à l'aspect chimérique. Mais malgré tout, cela n'est pas terrifiant, et il y a une sorte d'harmonie dans les trait fins, la peau translucide et les oreilles tombantes.

"Approche, humaine Sayaka."

Je dégluttis. Cette bête connaît mon nom ? Pour autant, je me rapproche du mur derrière moi.

"Je ne suis pas friande d'humain, n'ai pas peur. À vrai dire, j'ai une préférence pour le thé."

Son ton est enjoué, comme si elle venait de raconter une blague dont elle était plutôt fière. Hésitante, je finis par me rapprocher doucement, et me tourne vers le cadavre en grimaçant. La créature m'observe, et me dit, le visage impassible :

"Ne t'inquiète pas, il est habitué. Ça va presque faire un an que c'est comme ça.
-Pourquoi ?"

Ma voix montre que je suis un peu apeurée. L'autre réponds :

"Il n'y a pas vraiment de raison, parfois, les choses se passent comme ça. Je suppose que tu as beaucoup d'autres questions, et nous n'avons que 15 minutes."

Le monstre lève le bras, et l'horloge s'ouvre comme une boîte, laissant place à une sorte de balcon, une grande table blanc neige (l'une des chaises était particulièrement haute) et des parterres de fleurs, les pétales tels des cristaux. La bête me fit signe de la rejoindre, et elle s'installe sur la longue chaise, tandis que je tente de me hisser sur l'autre, puis fut aidée par le monstre attrapant ma capuche et me posant telle une poupée.
Un service à thé en porcelaine fit place sur la table, et mon hôte se sert avant de mettre 6 sucre dans sa tasse, et de faire de même pour moi. Je grimace devant la quantité astronomique de sucre, mais bois quand même pour ne pas la frustrer.
Elle soupire :

"Cela faisait si longtemps depuis que quelqu'un m'a rendu visite. Le dernier était un humain, mais il n'avait malheureusement pas l'envie de rester longtemps. Je le comprends, ce monde n'est pas réellement captivant.
-Moi, je trouve plutôt que c'est le contraire, je réponds, la voix un peu hésitante.
-Tu m'en trouves ravie. J'ai été tout à fait stupéfaite de voir que tu tentais tellement de revenir ici. Inori aussi, mais ce garçon est aussi quelqu'un de très peureux."

Je ne veux pas regarder le corps à nouveau, alors je le pointe du doigt et penche la tête, me questionnant à son sujet.

"Oui, c'est lui. Cet enfant n'a pas vraiment de chance, du moins selon sa perspective. Vois-tu, je suis scellée en lui depuis longtemps.
-Pourquoi ? C'est un enfant humain ?
-L'histoire est beaucoup trop longue et superflue pour une humaine, tu seras morte avant d'en connaître la résolution. Le fait est que je passe la plupart de ma vie enfermée en Inori. Bien que je n'aie aucun pouvoir sur lui, je ressens ce qu'il sent. Il est très seul."

Ça doit être dûr, je suppose, je pense. Je ne peux m'empêcher de ressentir de la pitié à son égard.

"Je suis Galathéa, un monstre sans importance, mais, je pense que tu l'as compris, peut contrôler le temps. Voici ma maison. Enfermée en Inori, je n'ai eu droit récemment qu'à 15 minutes chez moi, tous les jeudi midi. Tu te posais ces questions tout à l'heure.
-Il y a des conséquences sur son corps ?
-Oui, elles sont imminentes. Cet enfant finira par m'absorber entièrement, moi et mes pouvoirs. Il ne sera jamais aussi sublime que je le suis, mais nous ne ferions qu'un, surtout au niveau de la puissance."

Galathéa, en reposant sa tasse, fit gicler quelques gouttes. Avant qu'elles ne s'écrasent au sol, une langue bleue d'une trentaine de centimètres les rattrapa. La créature sourit de contentement, avant de porter la main à sa bouche.

"Mais je divague, je divague, tu dois avoir emmagasiné trop d'informations. Je ne compte pas t'embêter plus longtemps, je suis juste heureuse. Le temps va bientôt revenir, vas."

Une main vient me repose au sol, tandis que pour une raison ou une autre, je me sens heureuse.

"Je reviendrais."
Je dis, déterminée.

Un merci résonne, tandis que ma vision se trouble.

La barrière entre ce monde et le mienWhere stories live. Discover now