La barrière entre ce monde et le mien

Cas 2, Partie I

Mon estomac se mit à gargouiller, tandis que la voix douce et légèrement chantonnante derrière-moi retentit à nouveau :

"Si tu ne pars pas tout de suite, tu ne va pas pouvoir manger."

Bien que la remarque soit anodine, je ne peux m'empêcher de grommeler d'un ton irrité quelque chose comme "Alors pourquoi toi aussi tu restes à côté de moi ?", qui ne fut répondu que par un rire aérien. Le fait qu'elle ne semble pas un minimum blessée n'a aucun sens. Pourquoi est-ce que je ne deviens amie presque qu'avec des gens comme ça ? Mais je préfère ne pas aborder ceci avec elle. Qu'elle reste souriante ne signifie pas forcément qu'elle est entièrement joyeuse.

Je suis tirée de mes pensées par une figure qui se rapproche de moi, et je me mets à sourire légèrement tout en saluant d'un petit geste de la tête. Inori fait de même, semblant visiblement impressionné d'être entouré de personnes ayant au moins 3 ans de plus que lui. Son regard s'attarde sur Hitomi, qui semble étonnée de le voir.

"C'est ton petit frère, Sayaka ?"

Je nie, ce qui a pour effet de la rendre assez perplexe. C'est vrai que cela doit sembler étrange de ma part, d'être avec des gamins comme ça. Même si je ne sais pas réellement, en fait. J'essaie de préparer une excuse, mais la voix du collégien s'élève avant la mienne :

"C'est ma professeur particulière en maths.
-Ah... Oui."

Je fixe Inori d'un air étonné. Je ne m'attendais pas à ce qu'il dise ça, ou que son ton beaucoup plus assuré que d'habitude fasse passer cette phrase comme une parfaite vérité. Cela ne semble pas être une habitude pour lui, puisqu'il met la main sur sa bouche de façon un peu ridicule, comme si il venait de dévoiler quelque chose d'horrible qu'il regrettait déjà. Hitomi ne relève cependant rien, et lui présente un sourire bienveillant, ce qui semble le mettre plus mal à l'aise qu'autre chose.

"Je m'appelle Hitomi. Et toi ? J'espère qu'elle est une bonne professeur alors, même si à vrai dire, les maths n'ont jamais été sa matière phare."

Inori se décompose en un instant, comme s'il allait être foudroyé sur place, alors que je lui hausse les épaules, ne comprenant pas réellement pourquoi il se liquéfie cette fois (ni comment Hitomi peut savoir ça).

"J-Je suis Iron- Inori. Enchanté."

Ses yeux se plantent sur le sol, et pendant une ou deux minutes, aucun son ne sort d'un d'entre nous trois, jusqu'à ce que je décide de briser le silence en toussotant légèrement :

"On va y aller du coup, à plus."

Inori hoche la tête, visiblement soulagé de devoir couper court cette "conversation", et nous partons ensemble tandis que je salue Hitomi de la main.

"Et... Qu'est-ce que l'on doit faire maintenant...?"

N'en ayant aucune idée moi-même, j'espérais qu'il ne me pose pas cette question tout de suite. Je fronce les sourcils et improvise :

"Euh... Chercher... Tout ce qui sort de l'ordinaire ? Je sais pas, on finira bien par tomber sur quelque chose.
-Mais si nous n'avons aucune piste, on ne trouvera rien, non...?" Inori prend un air dubitatif, ce qui me fait grommeler :

"Je suis tombée sur toi par hasard, tu sais. Il n'y a pas de rumeurs bizarres dans ton collège ?
-J-Je ne sais pas vraiment. Personne ne me parle."

Il baisse la tête, l'air honteux. Je hausse les épaules pour lui montrer que cela ne m'importe peu, n'étant pas un exemple de sociabilité. Nous marchons silencieusement pendant quelques minutes. J'essaie de fouiller dans ma mémoire à la recherche d'une quelconque information, jusqu'à ce qu'Inori lâche un "Oh!" et que son visage s'illumine. Je me tourne vers lui et l'interroge du regard.

"Il y a une rumeur comme quoi un local du bâtiment principal est hanté. U-Une élève tuée par un professeur ou quelque chose comme ça..."

Un fantôme ? Hors de question d'y aller. Ce n'est pas une question de peur ou quelque chose comme ça, c'est juste que de toute façon, il m'est impossible d'entrer dans le collège en question.

"T'auras qu'à y faire un tour durant une récréation ou un truc du genre.
-M-Mais, o-on devait pas enquêter ensemble ?"

Je lui lance un sourire moqueur.

"Quoi, tu as peur, Inori ?
-P-P-Pas en particulier, c'es-c'est juste que... Je vais y aller.
-Et puis, de toute façon, il y aura bien des moments où nous serons séparés, Je tente de me justifier même si je l'avais clairement manipulé. Alors autant s'y habituer maintenant."

Mais tout de même, une simple légende urbaine qui pouvait juste s'avérer fausse ne valait pas grand chose. Peut-être qu'il fallait une piste moins accessible au commun des mortels. Après tout, le seul "incident" sur lequel je pouvais me baser était l'existence d'Inori, et seules quelques personnes y avaient eu accès.
Ça, et...
Tandis que je mets le doigt sur une partie de ma mémoire que j'avais enfermé et cadenassé, quelque mots me reviennent.
Le puits.
Oui... Je n'étais pas sûre de toutes les informations, ne l'ayant pas pris au sérieux, mais il y avait définitivement un puits.
Je me tourne vers Inori. Je lui dirais quand nous serons rentrés. Le temps que je me souvienne de plus de choses.

/

"P-Pour l'instant, il n'y a pas de faits divers de ce style sur mon collège... E-Enfin, je ne suis pas très fort en recherche."

Inori me parle à voix basse, mon ordinateur portable sur les genoux.
Je lui hoche la tête en reprenant une bouchée de ce que je mangeais, ayant les mêmes résultats sur mon portable.

"Franchement, je pense que ce n'est rien d'autre qu'une rumeur.
-Mo-Moi aussi."

Je ne peux m'empêcher de me sentir légèrement déçue . S'il existait des choses étranges cachés partout, un esprit ou un fantôme serait presque mandatoire. Bien que je n'aimerais pas en trouver en face à face. Inori se met à feuilleter le carnet qui m'avait servi précédemment et que je comptais bien remplir, et semblait lire ce qui lui était dédié. Une sorte de moue apparut sur son visage, et il me demanda tout en évitant de me regarder :

"D'ailleurs, t-tu pourrais éviter de venir tous les jeudis ? Ç-Ça me gène assez...
-Pourquoi ? J'ai promis de revenir !"

Je ne contrôle pas mon ton et manque de crier, ce qui a pour effet de faire sursauter Inori et de le faire se recroqueviller sur lui-même.

"J-Je ne disais pas que t-tu ne pouvais plus revenir, j-juste si par exemple tu dois poser une question... E-Elle comprendra, e-elle sait presque tout.

-Oh, je vois. D'accord."

Voir Inori exprimer ainsi de la gêne par rapport à ceci me plonge dans l'incompréhension. Je pensais qu'il n'aimait pas être seul ? En voyant qu'il semble sur le point de paniquer, je lui ébouriffe légèrement le cuir chevelu. Ne pas hausser le ton, je note. Il est assez compliqué de lui parler, mais si ça peut lui permettre de se sentir plus à l'aise, alors je ferais mieux de faire des efforts.

Après un certain moment, je lui adresse à nouveau la parole :

"D'ailleurs, je pense avoir quelque chose.

-Vraiment ?!

-Oui. Un vieux puits un peu à l'orée de la forêt pas loin. Il paraît que si l'on y jette quelque chose, il se passera un truc. Je ne sais pas vraiment quoi, par contre."

Les yeux d'Inori s'éclairèrent d'une lueur intéressée, et je sentis un peu de fierté gonfler en moi, que j'enfouis presque aussitôt au fond de mes pensées. 

"Co-Comment tu sais tout ça ?!

-On me l'a... Dit. Yep."

Inori hoche la tête en lançant un petit "Oh", avant de regarder rapidement sa montre et de glapir. Je comprends aussitôt, et lui fait un salut de la main quand il s'incline devant moi, range précipitamment ses affaires et part en courant. 

Je devrais partir aussi, mais je n'ai pas envie de me lever du sol, et ferme les yeux. Un peu de sérénité s'empare de moi. Je ne dirais pas être réellement bien en ce moment même, mais... Cela semble s'améliorer. Un petit sourire étire mes muscles.