Chapitre VII

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C'est sur cette dernière pensée plus ou moins philosophique que je pensais m'endormir.

Mon subconscient en a décidé autrement il faut croire.

Je somnole depuis une petite demi heure et il n'en a pas fallu plus pour que la moindre pensée dérive sur ce soit-disant million.

À croire que je veux absolument être certaine qu'une aussi grosse somme est à ma portée.

C'est vrai qu'en y pensant comme ça, cela me paraît impossible. Il faudrait que j'en soit sûre mais je n'ai véritablement pas envie d'y croire.
En fait cette idée me fait mal car rien que de penser au fait que ma grand mère ai pu me cacher une telle chose. Je pensais que l'on partageait tout. Malheureusement ce n'était pas le cas.

C'est un fait qui me blesse et me déçoit profondément, même si d'un certain côté je ne pense pas que j'aurais aimé être au courant.

Je hais ces personnes qui attendent patiemment au côté d'une personne qu'elle parte. Ces humains me répugnent et qui sais si j'aurais pu me regarder dans un miroir si j'avais su cela.

Il est tard, très tard.

C'est fou le temps qu'on perd à débattre soi même de certaines absurdités comme de certaines choses importantes.

Je pose ma tête sur mon oreiller et je m'endors sur ce canapé en cuir inconfortable durci par le temps.

*****

Il est cinq heures quarante deux.
Et je maudis d'une force sans égal la curiosité, ce trait de caractère que m'a aimablement laissé ma mère.

Cela fait quatre heures que j'essaie en vain de me rendormir. Je crois qu'il est temps de baisser les bras, après tout ce temps je doute de pouvoir fermer à nouveau l'œil.

Alors je me lève et je décroche le calendrier mural qui pend au dessus de la table. Je ne sais même pas si j'ai fait l'effort d'acheter celui de cette année. Qu'importe cela fera l'affaire.
Je prends un surligneur jaune avant de me raviser, je prendrai le bleu. Je ne sais pas qui a inventé cette couleur criarde mais cette personne devait avoir un sérieux problème de daltonisme. Cette couleur vous agresse les yeux de la manière la plus désagréable qu'il soit. C'est entre le jaune poussin et le vert cramoisi.

Je surligne généreusement les jours où je n'ai pas travaillé.

Douze.

Ce qui fait vraiment beaucoup pour une personne qui a besoin d'argent. Je n'ai même pas d'enfant pour me justifier auprès de mon patron.
Parmi ces journées j'encadre les sept où je n'ai rien fait d'un minimum productif.

Je veux surligner les jours qui me séparent du décès de ma tante mais j'ai déjà mis du fluo sur toute les cases énoncées précédemment alors je me contente de tracer une ligne sur la droite de la colonne. Soixante treize jours précisément.
Et enfin je trace une seconde ligne sur la gauche des soixante neuf jours où je n'ai pas osé ne serait-ce qu'essayer de penser à ce fichu testament.

C'est précisément à ce moment que la voix intérieure à fait tilt.
En partant je n'ai emporté que la carte mais l'intégralité des papiers se trouvent encore dans l'entrée, (presque tous) rangés dans la petite pochette fendue sur le côté.

En deux temps trois mouvements la paperasse se trouvait dans mes mains et je feuilletais les nombreuses pages en même temps que je me servait un verre de limonade sans bulles - je savais bien que j'aurai dû fermer la bouteille avant de partir.
Le goût citronné imprègne mes papilles et je me glisse à nouveau dans mes draps.
Je commence à croire que cette boisson à des vertus thérapeutiques sur moi.

Je ne me souviens pas avoir jamais fait quelque chose d'aussi morbide à une telle heure. C'est tellement inattendu que j'oublie un petit moment le poids sentimental de ce moment et je ris de l'étrangeté de la situation.

Je commence à déposer sur la table basse les documents qui me sont inutiles puis je fini par chercher une quelconque lettre ou feuille qui se terminerai par une signature.

Quand je la trouve enfin je lis attentivement. Les premières lignes concernent les formalités, dates, lieu et n° du cabinet destinataire.
C'est la suite qui m'intéresse si je puis dire.

« À ma nièce Julia Pakles je lègue l'intégralité de ma fortune - acquise suite à des erreurs médicales qui ont de près ou de loin influencé la durée de ma vie, j'ai ensuite su placer cette argent en de bons investissements -
1 243 600 $, soit 1 000 000€. Fais-en bon usage.
Je lui laisse aussi le terrain m'appartenant: les hectares 45, 46, 47, 48, 49 et 50 du pourtour d'Arcadia Lake du côté de la rue Turner Turnpike. Ce terrain se situe en Amérique dans l'état de l'Oklahoma.
Je te laisse aussi le soin de t'occuper de bénéficier de ma maison à l'unique condition que mes filles puissent encore considérer cet endroit comme chez elles.
Bien à toi, ta tante ... »

Je savais depuis peu que ma tante m'avait toujours caché des choses mais je ne réalise toujours pas que je puisse hériter d'un terrain en Amérique.

Mon esprit restait butté sur ce passage de la courte et funèbre missive de ma tante. À croire que mon esprit ne voulait que me torturer encore plus.

Le simple nom de cet ensemble d'États suffisait à former sur mon visage une marque de dégoût.

Je le savais depuis bien longtemps, le rêve américain tant convoité n'existait pas. Il suffisait de me rappeler d'Arcadia Lake pour m'en souvenir.

C'était autrefois un magnifique lac bordé de bois pas bien dense. Les arbres étaient éparses mais feuillus et verts. Les buissons se composaient essentiellement d'espèces fruitières. Des mûres et des framboises.
Et l'homme est arrivé, il a envahi un espace magnifiquement sauvage. Il a détruit un système, tel les colons qui ont chassé les indiens. L'homme s'est approprié un espace qui n'aurait jamais dû lui appartenir.

C'est ainsi que mes virées d'enfant au bord du lac sont devenues des soirées à contempler des le soleil se coucher entre deux hôtels, assise au pied du griage.

C'est une société qui a acheté tout le pourtour du lac. Et je le sais pour en avoir fait le tour que le périmètre de cette étendue d'eau n'est pas minime.

C'est le patron de cette même société française qui a arraché ma mère à son mari. Qui m'a fait pour ainsi dire quitter mon père et mon frère pour vivre dans un pays dont je ne savais rien.

J'ai par la suite eu deux demi-sœurs. Elles étaient infernales, de vrai pourries gâtées.
On a eu beau me rabâcher toute mon enfance que j'ai été aimé, je les hais tous toujours autant.

Et je me souviens de tellement de choses qui n'ont jamais eu lieu d'être.
Comme cette fois où justement mon beau-père s'est emporté au point de saouler car il n'arrivait pas à avoir ce bout de terrain.

Aujourd'hui si on y réfléchit tout s'explique.
Le monde est tellement petit.

Ma tante et ma mère sont de perpétuelles rivales.
Et même dans l'au-delà elle lui tient encore tête.

Et puis, l'Oklahoma... Je ne le supporterait pas. C'est là où j'ai vécu les premières années de ma vie et je ne veux pas y remettre les pieds.
Les tromperies de ma mère et les disputes de mes parents génétiques restent liés à cette terre.

Alors je ne veux pas revoir ces deux endroits dépourvu d'intérêts pour moi. Hors de question que je remette un pied en Amérique.

En soi il ne me restait qu'une seule chose à faire, même si je devais passer pour la pire des garces. J'empochais l'argent et je refaisait entièrement ma vie.

À partir de maintenant tout dois changer de A à Z.

Ma fille et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant