6- L'étau

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Je m'éveillai au petit matin. La lueur grisâtre qui filtrait à travers les persiennes de la fenêtre de ma chambre  m'indiqua que le temps n'était pas au beau fixe. Un beau lundi de fin d'été... pensai-je tout en m'extirpant à regret de mon lit. Je grimaçai lorsque je fus debout, mon dos me faisait vraiment mal, souvenir hérité de ma course poursuite nocturne dans la forêt. À cette pensée, une violente migraine menaça de naître et je me ceignis le front des mains. Mal réveillée, je remis à plus tard mon bilan personnel et rangeai dans un coin de ma tête, épargné par la migraine, le souvenir étrange de la forêt. Mes pieds s'engouffrèrent dans les petites pantoufles à tête de souris que je portais lorsque je restais à la maison. Leur douceur habituelle me réchauffa immédiatement, diminuant de plusieurs degrés ma mauvaise humeur naissante tandis que je descendais l'escalier à pas lents pour rejoindre la cuisine. À cette heure matinale, ma mère dormait probablement encore. C'était la fête du travail aujourd'hui, un jour férié qui permettait de débuter la semaine en douceur.

Abrutie de sommeil, je bâillai à m'en décrocher la mâchoire puis sortis le paquet de céréales qui me fournirait, d'après le descriptif de la boîte, l'apport énergétique nécessaire au bon déroulement de ma journée. J'ouvris le réfrigérateur pour prendre ce qui m'intéressait : la dernière bouteille de lait frais, le jus d'orange pressé bon marché et un morceau de pâte de fruit saveur fraise dans lequel je mordis tout de suite. Machinalement, je tirai du placard le bol à motif étoilé que j'utilisais tous les jours pour y déverser le lait et les céréales Tiger Snack que je dévorais chaque matin. Je tendis le bras pour attraper la télécommande qui changeait tout le temps de place, et allumai le petit poste de télévision disposé en hauteur, dans un emplacement spécialement prévu à cet effet. Je m'installai sur l'un des tabourets de la petite cuisine américaine qui trônait au centre de la pièce tandis que s'élevait du poste la voix mielleuse d'une chanteuse de pop. Durant le quart d'heure qui suivit, je fixai d'un air quasi bovin les clips musicaux qui défilaient les uns après les autres à l'écran, mâchant béatement les céréales extra acidulées qui donnaient au lait un goût trop sucré. Lorsque j'en eus assez de voir des créatures à demi-nues se déhancher contre des capots de voiture, je changeai de chaîne.

«... découverte du corps ce matin même par un promeneur. Nous sommes en direct avec Felicia Mc Alistair pour Haven News, à vous !»

Je haussai légèrement le son de la télé à l'aide de la télécommande.

— Tout à fait, enchaîna la journaliste dont le visage apparaissait maintenant à l'écran. Je me trouve près du lieu du crime. Par là !

La caméra bougea de gauche à droite, puis s'ajusta sur le plan d'une couverture noire qui gisait dans l'herbe à quelques pas de la journaliste. Deux pieds nus recouverts de terre dépassaient de la couverture. Mon cœur cessa momentanément de battre lorsque j'aperçus un bracelet de cuir sale accroché à l'un d'eux. Celui de gauche. Je me ressaisis aussitôt : un hasard, forcément. L'esprit peu tranquille toutefois, je reportai mon attention sur tout hormis le cadavre dissimulé sous la couverture. Des policiers s'amassaient tout autour, l'un d'eux s'approcha vivement de la journaliste qui souriait de toutes ses dents. Elle balança légèrement la tête, une longue mèche de cheveux roux ondulés sauta par-dessus son épaule. Avant même que le policier ne parvienne à sa hauteur, Felicia Mc Alistair avait déjà dégainé son sourire enjôleur. Elle darda sur lui les yeux verts émeraude qui devaient lui valoir tant de compliments.

Elle avait la trentaine, et était vêtue d'un tailleur vert kaki qui enserrait sa taille fine telle une seconde peau. Ses longs doigts aux ongles impeccablement décorés d'un vernis rose nacré manipulaient le micro comme une arme fatale. Son visage, sur lequel un maquillage parfait avait été appliqué, affichait une expression de confiance presque obscène. Avec son physique avantageux, difficile de douter de son succès auprès de la gente masculine. Mais visiblement pas ce matin-là.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant