Ma montre affichait onze heures piles. Le fait même que je le sache était d'ailleurs un mystère; Car depuis que la sonnerie de dix heures avait retentie, je profitais du meilleur moment de ma journée.
Durant la meilleure heure du monde, au meilleur cours du monde, mes yeux n'avaient pas quitté une seule fois...La meilleure personne de ce monde. Monsieur Carteggiare.
Je soupirais, rêveuse. J'étais jusqu'à l'année dernière, un être vivant dénué de cœur.... Au premier regard, l'organe était apparu soudainement .... et il s'était enflammé, comme beaucoup disaient. Comment avais-je pu un jour vivre sans partager son oxygène ? Son sourire charmant, son humour morbide... Sur son crâne luisant se reflétaient tous mes espoirs. Il était fait pour moi.
Je savais être trop jeune pour lui à mon arrivée en seconde, c'est pourquoi, par amour, j'avais sacrifié ma carrière de littéraire pour rester à ses côtés cette année. L'économie n'était pas ma matière favorite, mais notre rendez-vous quotidien ne m'avait jamais fait regretter mon choix.
Car aujourd'hui était LE jour. Oui, j'étais prête à lui confesser mon amour à la fin de ce cours. Je m'étais même COIFFÉE pour l'occasion. Comment pourrait-il refuser? J'avais tout prévu. Plus tôt, ma mère m'avait aidée à préparer des Tchourtchkhela afin de lui offrir en symbole de mon affection. (J'avais d'ailleurs du les recommencer de nombreuses fois à cause de mon incompétence en cuisine. Tout mon weekend y était passé.)
Je ne tenais plus en place, mais restais tout de même absorbée par les mots de sagesse qu'il nous prodiguait. Le reste de l'heure passa bien trop vite. Alors que je sortais la boîte de pâtisseries de mon sac, l'être de mon cœur s'approcha de ma table à pas rapides. Il se pencha quelques peu vers moi et me dit tout bas:
"-Catherine, peux-tu rester ici un peu avant de sortir ? J'ai quelque chose à te dire."
Mon cœur manqua un battement. Nous étions donc synchrones ! Il avait eu la même idée que moi ! Ravie, je plaçai la boîte sous mon bras et le suivis jusqu'à son bureau. Je le laissais s'exprimer en premier. N'étais ce pas le moment dont j'avais rêvé durant toute mon existence..?
A ma grande surprise, il sortit une copie de sa sacoche, et posa ses yeux vers moi d'un air contrarié.
"-Catherine, qu'est ce qui t'es arrivé au dernier contrôle...? Je suis très déçu. Ton analyse de l'extrait de Madame Bovary que je vous avais donné était bien trop superficielle! C'est vraiment dommage, c'est une oeuvre tellement riche...! Tu devrais plus t'y intéresser.... ou alors je t'en ai trop demandé."
..........Je perçus dans le reflet que me faisait son crâne, l'éclat du désespoir dans mon regard. Je l'avais déçu. MOI, Catherine, toujours exemplaire pour Monsieur Carteggiare, je l'avais profondément attristé par ma médiocrité. Comment pourrai je donc lui avouer mes sentiments avec un tel déshonneur..?
"-Bon, je ne te retiens pas plus longtemps, j'ai d'autres tigres à fouetter. Tu te rattraperas à la prochaine évaluation !"
Je le saluai poliment et m'éclipsais dignement. J'étais six pieds sous terre. Comment pouvais je me racheter, pour que je puisse être estimable à ses yeux ? Pour que nous soyons enfin réunis ?
Machinalement, je m'engouffrai dans la cafétéria bondée pour me faire un café noir. L'adrénaline de la caféine m'aidait toujours à réfléchir quand mes sens étaient les plus misérables. Dégustant avec amertume mes premières gorgées, je me répétai les paroles de mon professeur encore et encore, à la recherche d'une réponse.
...Soudain tout devint clair.
Pour conquérir son coeur, je devais combattre le mal par le mal.
Exceller où je l'avais déçu.
Affronter ce que mes amis appelait le "classique somnifère".
Pour impressionner Monsieur Carteggiare, je devais lire Madame Bovary.
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Un baiser entre deux pages (Mme Bovary x Catherine x Monsieur Carteggiare)
FanfictionCatherine est une élève normale dans un lycée banal. Après s'être fait briser le cœur par l'ignorance frigide de son professeur de lettres, Monsieur Carteggiare, elle entreprend pour l'impressionner la lecture de l'ouvrage "Madame Bovary". Ce qu'el...