Un baiser entre deux pages (Mme Bovary x Catherine x Monsieur Carteggiare)

Le réveil d'Emma

24 heures. 24 heures que je n'avais pas fermé l'œil. Je m'étais faite prendre au piège, appâtée par l'apparence inoffensive de ce vieux roman poussiéreux;  Monsieur Carteggiare, Mademoiselle Dupigeon.... Tous ! Ils savaient tous. Leur vile complicité m'avait poussée à signer cette fiche d'emprunt, qui n'était en réalité que mon arrêt de mort déguisé ! J'étais dans mes derniers instants, je le sentais. Je ne savais pas encore combien de temps je pouvais tenir. La fin se rapprochait, chaussée Adidas. Je pouvais presque entendre les fouets de l'enfer s'échauffer pour moi... Quoi? Bien sûr que non, je n'avais jamais égorgé de chaton. Mais j'avais un jour dessiné un pentagramme avec du parmesan sur le sol de ma cuisine... Ce fut inefficace, et vraiment barbant à nettoyer. Ah, et j'avais aussi mis de l'ananas sur ma pizza. Si un jour, une présence cosmique pouvait sonder mon message de détresse, je souhaiterai simplement faire une dernière confession. Mon extrême onction. J'avais... 

"-Catherine ? Ici Saturne, tu me reçois ?" Une voix désagréablement fluette me tira de cet état second. Cependant, toute force me manquait pour me redresser.

"-Marie-Christine...C'est toi...? " Je poussai alors un grognement manquant tant de glamour qu'il en ferait fuir un ours. "Apporte moi un café."

J'entendis un soupir bref.

"-Un, ce n'est pas mon prénom, deux, je ne suis pas un pigeon. Pour ton joli minois, je ferai beaucoup de sacrifices mais là, ce n'est pas rentable, en vue de ta consommation. Bouge ton arrière train, sale junkie." 

J'utilisais mes dernières forces pour me redresser, m'appuyant sur la table badigeonnée de graisse de la cafétéria. Je peinais à ouvrir mes paupières gonflées. En face de moi, se tenait bel et bien une de mes amies, Marie.... Truc, que je connaissais depuis quelques années. Myope comme une taupe, fine comme une brindille et affublée de la taille d'un minimoys, elle parvenait tout de même à vivre avec la confiance de Brad Pitt -évidemment, tout style en moins-. J'étais assez admirative; je connaissais personne d'autre qui se voilait la face si dignement.

"-Pas cool, Marie-Antoinette. Au moins, tu m'accompagnes."

Je me levai et traînai ma carcasse jusqu'à mon distributeur favori.

"-Moi c'est Marie-Lise ! "

...J'avais déjà oublié.

Après avoir inséré le jeton dans la machine, je collais mon visage à celle-ci, ignorant les potentielles maladies exotiques que ce contact peu hygiénique pouvait me causer. Je souris au bruit assourdissant qui malgré tout m'apaisait; Bien plus efficace que la ronron thérapie, ce bidule ! Dès que le bruit disparut, je m'enfilai le liquide noir cul sec. Marie-France, qui avait croisé les bras à mes côtés grimaça.

"-Mais qu'est ce qui t'a pris de faire nuit blanche ? Tu dors déjà assez peu comme ça. Sérieux, on dirait que je t'ai repêché de la morgue ! "

Vivement, je lui plaquai l'objet du délit sur la figure. 

"-C'est ce livre !! C'est un blasphème!! "

Elle recula. 

"-Tes cheveux sont un blasphème, pourtant je te crie pas dans les oreilles à 7 heures du matin."

Elle était gentille, Marie-Pauline, mais parfois elle était pas très futée. A chaque fois, je devais gaspiller ma précieuse salive que je gardais pour mon homme afin de tout lui expliquer. Je soupirai. Tant pis, l'économie ce serait atelier sieste. Je devais garder mes forces pour mon prochain tête à tête romantique en fin de matinée.

"-C'est une malédiction. Depuis que je l'ai commencé, je ne pouvais pas m'arrêter.... Je lis, je lis et je relis ! Oui, je n'avance même pas en plus ! Je relis les passages encore et encore, pour le simple plaisir de l'action la plus stupide ! C'est en train de me détruire...!!"

Bien sûr, je ne lui disais pas que je le faisais surtout par adoration pour Emma. J'avais une réputation de cœur de pierre à tenir moi, messieurs !  Pourtant, rien qu'à la couverture, j'avais ressenti cette connexion.. Cette alchimie. Une beauté et un esprit incompris piégé dans une campagne où l'ennui consumait tout à petit feu.. Mais pas sa passion ! Les intérêts du cœur que je trouvais à vomir dans ce monde, faisaient parfait écho dans le sien et je manquais d'arracher, puis de manger la page chaque fois que quelque badaud la prenait en pitié; Emma était une femme comme on n'en voit nul par ailleurs, qui faisait battre mon cœur dans les nuits les plus solitaires. Une femme de papier cependant. Une idylle fictive et secrète qui n'entachait en rien mon véritable amour pour mon chauve si séduisant.

 Je soupirai et relevais les yeux. Marie-Astrid n'avait pas l'air convaincue par ma tirade. 

"-Mouais... Tu es juste passionnée quoi. Et c'est quoi ton bouquin ? Contre mon visage, c'est pas l'idéal pour lire le titre ! "

"-Madame Bovary."

Son expression changea aussi rapidement qu'un iphone se vidait de sa batterie. 

"-Je ne te savais pas masochiste ! "

Je ricanais, me resservant un énième café.

"-Tu juges, mais tu ne l'as sûrement jamais lu ! "

"-C'est pas faux."

La sonnerie mit fin à notre discussion. Avant que je ne reparte vers ma classe respective, elle me lança:

"-Au moins tu pourras en parler avec ton Roméo !" 

Cette perspective m'enchantait d'avance. Je passais donc l'heure qui suivit au fond de la classe, à somnoler sur ma trousse , rêvant de regards torrides derrière un pupitre. J'avais même réussi à décrocher de ma lecture addictive; Cependant, je savais ce répit de courte durée. Dès la pause midi commencée, je me réfugierai de nouveau contre le sein si chaleureux de la Douce Emma Bovary. 

***

J'avais accouru comme avant tous les cours de français à la place la plus proche de la porte, afin de m'assurer la place la plus exposée au regard de mon bien-aimé. 

...Mais celui-ci tardait. Plus que d'habitude du moins. L'inquiétude commença à se faire sentir, mais je tenais à garder ma place. Je me résolus alors à reprendre ma lecture, ouvrant l'ouvrage qui n'avait pas quitté ma poigne là où indiquait le marque page. Seulement... 

Les pages étaient blanches.