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Je n'arrive pas à le croire. Tout ce que je souhaitais, c'était de pouvoir m'entraîner avec Taylor, le seul qui ne cherche pas à me blesser. Il n'essaye pas de mettre au pied du mur pour que je sorte de mon mutisme. Il me laisse vivre ma vie et me supporte malgré tout. Voilà pourquoi j'aurais préféré qu'il soit mon entraîneur. Je n'ai pas envie de subir les colères de mon cousin, lui qui semble vouloir me remettre dans le droit chemin, quitte à devoir contrôler le moindre de mes gestes.

Le regard que pose Aarhon sur moi est lourd de sous entendus. Il ne compte pas me laisser tranquille, je le sais. Il me sourit triomphalement. Je sais ce qu'il pense. Il veut me voir craquer, il veut m'entendre parler et lui cracher toute ma haine au visage. Mais je ne ferais rien de tout ça. Au lieu de quoi, je prends le teeshirt de Taylor entre mes doigts et le tire vers moi, comme pour le supplier de me venir en aide.

« Taylor, ne t'avise même pas d'essayer de me contredire. Si elle y voit le moindre inconvénient, elle n'a qu'à m'en parler. »

La voix de mon cousin sonne comme de la pierre dans la pièce et je sens mon ami se tendre de tout son long. Son ordre est indiscutable et il vient de nous le prouver en appuyant sa supériorité. Il nous rappelle silencieusement que nous lui devons notre place, et que pour ma part, je lui dois sûrement la vie aussi. Sans lui, nous ne serions pas là, nous serions tous entre les mains du Créateur, Taylor serait mort, et nous exécuterions les ordres d'un homme détestable. C'est une autre raison qui me pousse à ne pas réagir, tant que je ne serais pas en position de force, je ne peux pas me permettre de me mettre encore quelqu'un à dos. S'il veut m'entraîner, il m'entraînera. Mais je ne me laisserait pas, qu'il en soit bien sûr et certain. Ce n'est pas parce que lui et moi sommes liés par le sang, que je lui obéirais aux doigts et à l'œil. Jamais il ne pourra rallumer la partie de moi qu'Éthan a emporté avec lui.

Pourtant, refuser d'avancer ne ralentira pas le temps. Le monde continue de tourner, avec ou sans moi. Dans quatre mois, une nouvelle saison commencera. Dans quatre mois, je devrais être prête à agir en consequence. En attendant ce moment fatidique, j'ai cent-vingt-deux jours pour lui faire vivre un enfer. Je vais lui montrer ce dont je suis capable, peut m'importe si je dois y laisser du sang et des larmes. Je suis têtue et il s'imagine même pas quel point je peux décider de l'être s'il me cherche trop.

« Alors ? »

Il reprend en scrutant mes réactions. Son regard si inquisiteur me plonge dans des souvenirs que j'aimerais oublier. Je revois ces dizaines et ces dizaines de caméras se braquer sur moi, sur mes amis, sur mes ennemies. Je les revoient filmer nos actions, du matin jusqu'au soir. Elles qui ne nous lâchaient jamais, qui ne cessaient de nous épier et d'enregistrer nos conversations. Nous n'étions jamais seuls. Et les yeux verts qui me font face me remplissent de cette même impression. Les mois qui suivent s'apprêtent à être très dur. Comme si Aarhon me promettait silencieusement de ne plus jamais me laisser seule.

« Parfait. Vous pouvez nous laisser seul. »

Aarhon ne leur demande pas un service, il leur ordonne quelque chose. Et sa voix, sourde et pleine d'orage est clair : Taylor et Jöakim n'ont pas intérêt à lui désobéir.

Mon ami, peut être même mon meilleur ami depuis qu'il n'est plus là, me demande s'il peut vraiment me laisser seul et je hoche la tête, pas sûre de moi. J'ai beau être tenter de lui faire vivre un enfer, j'ai beau me douter que lui non plus ne lâchera rien, il ne me ferait quand même pas de mal... non ?

Jöakim frôle ma main avec lorsqu'il passe et je réprime mon envie de le repousser. Il ne me parle presque plus depuis des semaines et voilà qu'il essaye de me montrer son soutien. Je peux comprendre que me voir dans un état lamentable ne doit pas être agréable, mais tout de même, je reste sa petite sœur. Ou est donc passé celui qui veillait sur moi, alors même que je ne me rappelais plus de son existence ? Pire encore, il me protégeait pendant que je le haïssais. Être frère et sœur, ce n'est pas se parler que lorsque les deux vont bien. Et récemment, je ne peux m'empêcher de penser que même après avoir été séparé de longues années, notre relation n'a jamais été autant fragile, au bord de la destruction. Comment peut on en être arrivé là ? Que s'est-il passé depuis deux mois, en dehors de ma chambre d'hôpital ? Qu'ai-je louper dans sa vie, qui puisse le pousser à s'éloigner de moi ?

Désormais, mon cousin et moi sommes seuls et la position décontractée qu'il prend face à moi me fait perdre pied.

« Tu peux t'asseoir si tu le souhaite. »

Je reste stoïque face à lui, regardant la pauvre chaise qu'il me montre.

« Je vais reformuler : assied toi Éléna.»

Je ne bouge toujours pas, ne voulant pas obéir à un être au comportement si abject. Il me fait penser au Créateur. Aarhon n'a pourtant rien à voir avec lui, du moins, c'est l'impression que j'ai eu jusque là. Mais le voir essayer de me donner des ordres, comme s'il s'attendait à me voir obtempérer en silence, fait remonter en moi des questions que je tente de refouler depuis des semaines. Si j'avais remporté ce jeu, au lieu de m'enfuir comme une lâche avec les rebelles, que serait devenu ma vie ? Aurais-je été plus heureuse ? Maltraitée ? Le rôle de bourreaux m'aurait-il plus ?

« Comme tu voudras. »

Il pousse un soupir et lève les yeux vers moi, en quête d'une quelconque réaction. Voyant que je ne réagit toujours pas, il prend un peu plus ses aises, croise ses mains sous son menton et reprend la parole.

« Tu veux t'entraîner ? Parfais, je vais t'entraîner. Mais tu vas devoir obéir à mes règles. Premièrement, finit la chambre d'hôpital. »

Je lève les yeux au ciel, pas sûre de vouloir sortir de là dedans. En l'espace de deux mois, cette chambre est devenue mon cocon. Une pièce qui m'empêchait de savoir ce qu'ils e passait dehors, ce que devenait les gens qui luttait contre le Créateur.

« Deuxièmement, tu fera ce que je te dirais de faire, sans poser de questions. »

J'ouvre la bouche pour l'interrompre mais il reprend :

« Et sans discuter. Troisièmement : mieux vaut pour toi que j'entende rapidement ta voix. »

Ses mots sont durs comme la pierre, son regard est glaciale, ses geste sont nerveux. Tout en lui respire la colère et la fatigue. Je sais qu'il en a marre de mon comportement, qu'il aimerait m'entendre parler à nouveau. Tout le monde voudrait revoir mon caractère trop impulsif. Bizarrement, ce trait de personnalité me semble si proche, et pourtant si loin, comme s'il attendait le bon moment pour refaire définitivement surface.

Silencieusement, je hoche la tête, pour lui montrer que je suis prête à faire un effort sur certain point.

Je sais que derrière ce grand méchant homme, qui cherche à se rendre plus mauvais qu'il ne l'est vraiment, ce cache mon cousin, quelqu'un avec un grand coeur qui a sacrifié sa vie pour aider mon frère, pour me sauver moi. Je sais que sous ses grands airs, il ne cherche qu'à m'aider.

Reste à savoir si je suis prête à accepter son aide ou pas. Comment pourrais-je l'être totalement, alors qu'il m'ignore depuis des semaines ? Comment pourrais-je réussir à m'ouvrir aux autres alors que mon coeur supporte à peine l'absence d'Ethan ?

Aarhon se redresse et s'approche de moi d'un pas félin et décontracté. Ses yeux brillent malicieusement, sûrement dans le but d'apprivoiser le chat sauvage que je suis devenue. Sa main se tend vers moi avec allégresse et il me sourit pour me mettre en confiance.

« Mais avant tout, je dois te présenter quelqu'un, en bon et du forme. »

Je louche sur sa main, sans grande conviction. Ne pas la lui prendre serait un affreux manque de respect. Mais mérite-t-il que je la lui offre après sa nouvelle absence ?

« N'oublie pas que c'est grâce à moi que tu es ici... Fais moi cette faveur s'il te plais, juste aujourd'hui. »

Sa voix est douce, comme un supplice inavoué. Il me gratifie d'un regard à la fois amusé et impatient. Ce simple fait suffit à me convaincre. Malgré toutes les heures où il aurait pu passer me voir, ne serait-ce que trente secondes, pour prendre de mes nouvelles, je ne dois pas oublier qui il est pour moi, et tout ce que je lui dois.

Alors, j'attrape finalement sa main dans la mienne. Aussitôt, ses doigts se referment sur les miens et il me guide jusque la porte de son bureau près à m'apprendre tout ce que je dois désormais savoir.

Il est temps de faire un pas en avant.

Survivre : l'affrontement Où les histoires vivent. Découvrez maintenant