I- Trīstĭtĭa

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Lorsque mes parents moururent, mon monde s'écroula.

Dans l'océan humain qu'est ce monde, je ne pouvais concevoir que le malheur me soit tombé dessus, moi parmi tant d'autres. Car face au malheur, on se sent seul et isolé. On est des milliards à souffrir, à pleurer, à hurler, mais on se sent seul.

Et c'est pour ça que tout s'écroule.

Les piliers qui avaient maintenu mon humble existence dans un niveau acceptable de bonheur s'étaient effondrés d'un coup sec.

Ma vie, c'était un remix douteux du 11 septembre 2001. Deux tours magnifiques - papa, maman - et un incident immonde. La chute. Les deux tours qui s'effritent, qui se détachent, qui rejoignent la terre en milliers de morceaux. La cendre. Toute cette poussière qui aveugle.

Depuis ce jour, je suis aveuglée.

On m'a dit de me reconstruire. On m'a ouvert des portes, des chambres, des églises. J'ai tout regardé d'un œil méprisant et je suis partie. Chacun vit son deuil comme il l'entend, j'en suis consciente, mais moi, je ne veux ni de fausse famille ni de croyances vides. Je veux me reconstruire par mes propres moyens, sinon quoi, j'aurais l'impression de m'être laissée guider malgré moi dans des chemins que je n'ai pas choisis. Pour ne rien regretter, je dois être maître de ma vie. De ma nouvelle vie.

J'ai cherché un moyen de subvenir à mes besoins sans abandonner mes études, et c'est là qu'être jeune fille au-pair m'a semblé être la meilleure idée possible. J'ai cherché partout, dans tous les pays, envoyés des mails à tour de bras. Je voulais aller loin.

Et au sein de ces dizaines de réponses positives, une m'a interpelée.

« Les Bartholy ».

J'ai lu le nom en prenant soin de faire rouler le 'r' au fond de ma gorge. Les Etats-Unis d'Amérique, Mystery Spell, une très bonne université, bien que petite, injustement méconnue. En résumé, un endroit loin de tout où je posséderai les clés pour construire mon avenir.

J'ai accepté.

Ma tante, sorte de mama italienne très axée sur la famille, a refusé de me laisser partir si loin, surtout chez des inconnus. Du haut de mes vingt-et-un ans, je me souviens avoir toisé son air désespéré avec détachement, embrassé sa petite joue ronde, puis quitté son foyer sans mot dire, valise en main. Je n'ai pris que peu d'affaires.

Mon périple m'a conduit par-delà l'Océan Atlantique, dans un vol long et épuisant mais, quelque part, régénérant. Sortir de l'enfer âpre du quotidien d'endeuillée m'a procuré une telle jouissance que j'en ai laissé couler une larme de soulagement. Moi qui pensais avoir tout pleuré...

Et quel plaisir cela fût-il que de fouler du pied un sol nouveau.

Je ne crois pas à toutes ces constructions stéréotypées d'« American Dream » ou autre, mais ce dont je suis sûre, c'est que ce nouveau départ ne pourra pas m'être plus insupportable que tout ce que j'ai vécu depuis la disparition de mes parents.

Sortie de l'avion, j'ai envoyé un message réconfortant à ma tante pour lui signifier que mon voyage touche à sa fin. Elle ne m'a pas répondue. Et pourtant, je sais qu'elle est soulagée ; sans doute doit-elle bouder suite à mon départ prématuré. J'espère qu'un jour elle comprendra ce besoin insoutenable que j'avais de, juste, changer d'air.

Pour l'heure, j'ai appelé un taxi en lui demandant de me conduire à Mystery Spell. Le chauffeur, aimable ou intéressé, s'est précipité pour glisser ma modeste valise dans le coffre, s'attardant une seconde sur mes jambes dénudée. Peut-être aurais-je dû renoncer à l'idée de porter un short qui s'arrête à mi-cuisse ? J'y ai réfléchi un instant et j'ai réalisé que non, je pouvais bien porter ce que je voulais, peu importe les regards. Si je ne suis pas capable de me libérer dans ma manière de me couvrir face au regard des autres, je serais à tout jamais incapable de me libérer de ma tristesse.

Au nom d'Amour (Is It Love - Peter)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant