18 février 2017 ( Zoé)

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Point de vue : Zoé

Chapitre Kiara : Bouleversements

Analisa vient d'avoir une idée : faire partager aux autres notre vécu. Mais je ne sais pas vraiment quoi raconter.

Je pourrais raconter la énième cuite de mon père, ma mère toujours absente ou la disparition de mon frère mais ce n'est pas cela que je vous raconter aux autres. On a tous nos malheurs et nos peines.

Ce que je vais raconter plutôt c'est ma première journée au foyer.
Je suis arrivée un samedi matin vers 9h. Je suis restée un long moment en haut. J'étais dans le dortoir, le B comme elles l'appelait. C'était Coralie la responsable à l'époque. Elle m'avait laissé devant mon lit avec ma valise.

Il y avait un porte étiquette dessus, vide. Pour le lit du dessus il y en avait un autre. Estelle. Quand je tirai le rideau beige je découvris des tonnes d'affaires sur le matelas. Des vêtements, des manuels scolaires... J'ouvris mon casier et il était occupé aussi. Il ne m'en fallu pas plus pour pleurer.

J'étais à genoux entre les casiers et les lits, dans cet espace étroit. Je me rappelle avoir senti une main sur mon épaule. Quand j'ai relevé la tête je me suis retrouvé face à une paire d'yeux bleus, intensément bleus. Elle me fixait de tout son azur avec une immense tendresse.

- Tu es Zoé ?
- Snif... Oui.
- Analisa mais je préfère qu'on m'appelle Netti. Dis moi ce qu'il ne va pas.
- Mon lit... Mon casier ! Je peux rien y mettre. Je suis pas chez moi... Je suis pas la bienvenue.

Elle se leva sans rien dire et regarda ce qu'il m'avait été attribué.

- C'est Estelle qui s'étale. Elle va tout ranger. Et tu es la bienvenue ici ne laisse personne t'en faire douter !
- Mais j'ai pas de place. J'ai pas ma place. J'ai jamais eu ma place nul part.
- On a tous notre place quelque part. Ici ce n'est peut-être pas le meilleur endroit mais tu as eu le droit d'entrer, de rester et de vivre ici. Ne te laisse pas marcher sur les pieds. Tu as toute la force nécessaire en toi.
- Mais elles sont si...
- Tu as parlé à qui ?
- Je sais pas trop. Des grandes. Enfin je veux dire elles doivent avoir ton âge.
- Leur agressivité ou leur indifférence ne sont que des façades pour la majorité d'entre elles. Mais tu verras elles ne sont pas toutes comme ça. Oh ! J'ai une idée.
- Quoi ?
- Prends ta valise et viens avec moi. On va mettre tes affaires dans ma chambre le temps qu'Estelle vide son bazar. Comme ça je serai sûre que personne n'y touche pas.
- Tu as ta chambre à toi ?
- Oui. Privilège de la responsabilité.
- Responsable de quoi ?
- De tout. Des autres responsables. De la gestion du quotidien. De la discipline. De vie collective ...
- Mais le directeur, il fait quoi ?
- À part l'administratif ? Je ne sais pas encore... Voici ma chambre !
- J'aime bien la déco !
- Quelle déco ? Yen a pas...
- Justement ! L'absence c'est mieux que le moche.
- Tu as de l'humour ! C'est une bonne chose. Ça peut te sauver.
- Ah...
-Bé ! Aller viens on descend !

Je la suivis au loin. Les escaliers étaient étroits, pentus. En bas, je regarda vers ma droite, vers les cris. Analisa s'excusa et me laissa seule.

Elle fila remettre à leur place les criardes. Déjà des disputes... Je continua d'avancer dans la pièce. Mon regard fut attiré par la pièce d'à côté, la salle à manger. Les plafonniers étaient magnifiques et lumineux, comme dans un rêve.

- Bonjour !
Je tourna à nouveau la tête, vers ma droite, pour voir une femme brune avec un tatouage dans le cou. Un papillon. Entre deux style, réaliste et géométrique, très coloré et tout en noir.

- Salut...
- Nouvelle ?
- Euh... Oui.
- Tu es ?
- Zoé... Et toi ?
- Pauline. Viens par ici, c'est plus calme que le salon.

Sur le plan de travail, il y avait de grands saladiers en fer et des dizaines de moules.

- Tu fais quoi ?
- Des muffins au Nutella.
- Oh !
- Tu m'aides ?
- Je fais quoi ?
- Il fait remplir les moules au tiers de pâte, puis mettre une noisette de Nutella, puis finir de remplir le moule de pâte.
- Je m'y mets.

Après une dizaine de moules, une fille entra. Elle était blonde, avec des yeux émeraudes. Elle avait l'air aussi timide et réservée que moi.

- Zoé je te présente Claire ! Claire voici Zoé. Mon petit doigt me dit que vous allez bien vois entendre.

Et elle avait bien raison. On finit nos muffins et ils finissent dans un immense four. Claire m'emporta vers l'étage. Elle ouvris la première porte du couloir. C'était une pièce plutôt petite, pleine de bricoles en tout genre.

- C'est le dortoir D, pour le moment il est vide. À côté c'est le C. Elles sont que quatre et elles sont super sympas. Charlotte, Axelle, Sabine et Noémie. Enfin elles sont cinq si on compte Sarah. Mais elle va vite nous rejoindre.
- Les autres ne le sont pas ? Je veux dire pas sympas ?
- Dans notre dortoir c'est un peu la guerre. Disons que Coralie est trop gentille et les autres bien manipulatrices. Mais il y a toujours Netti pour veiller au grain.
- Pour vous l'appeler Netti ?
- C'est la fin de son nom de famille. Et comme personne ne connait son prénom on lui a trouvé un surnom.
- Elle ne vous a pas dit son prénom ?
- Non c'est son secret.
- Oh...
- Oui c'est un peu bizarre. Elle a quelques petites exubérances dans ce genre là mais sinon elle est totalement saine d'esprit !
- Oh mais je n'en doute pas !
- N'hésite jamais à aller la voir. Elle est capable de résoudre tous les problèmes.

Elle ouvrit la porte violette sur laquelle était peinte une énorme lettre blanche, le C. Il y avait quatre filles, une blonde, une rousse et deux brunes, assise voire vautrée sur des lits, leurs lits ou non.

Pendant les heures qui suivirent ce ne fut que des rires et des moments de joies. Jusqu'à qu'il soit 19h, j'en avais presque oublié mes soucis, presque.

Mais à cette heure-ci je fis la rencontre d'Estelle. Elle entra dans le dortoir la tête caché sous la capuche. Elle avait tout de la demoiselle Adidas. Je me rappelle encore de cet ongle rouge pointé sur moi, véhément. De sa colère, juste parce que j'étais là. De ma peur. De Claire qui se leva avec douceur et discrétion. Dess mèches noires d'Analisa qui passait à travers la porte. De cette femme, debout, les mains sur les hanches, qui la mit à la porte. Des cris dans le couloir et de sa sanction.

Il ne fait pas plus d'une journée pour comprendre comment cela se passe ici. Découvrir l'organisation, pas juste celle du foyer en soit, mais aussi l'organisation sociale du groupe comme disait ma maman. Qui commande, qui domine et qui suit. Qui protège, qui est la Robin des Bois, qui est Lucky Luke.

Quand je descendis pour le repas, je commençais à voir la toile qui les liait. Assise à ma place, je les observais. Les douches furent aussi très révélatrices. Le soir venu, Estelle juste au dessus de moi, je regardais les lattes de son lit, la toile coloré se dessinant devant mes paupières. Ce soir-là, je savais déjà sur qui je pouvais compter et de qui je devais me méfier. C'est le genre de bilan que l'ont fait cachée derrière son rideau, en entendant les respirations autour de soi dans la pénombre du dortoir.

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