Chapitre Un - Episode I

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J'avais pris l'habitude de finir ma journée en écrivant dans mon journal les péripéties de la journée, cela me permettait de lutter contre la dépression qui s'était installée durablement en moi depuis que j'avais appris la mort de mon grand-père. Une fois certaine que personne ne viendrait me déranger, je m'installai dans cette chambre bien trop luxueusement décorée, dans cet internat qui serait ma prison jusqu'à ce que j'obtienne mon diplôme d'études supérieures, — soit, pas avant cinq bonnes années —, et je tâchai de noir le carnet que mon père avait eu la gentillesse de m'offrir après avoir mis mon grand-père, l'homme qui m'avait aimé bien plus que mes parents, en bière. « Ainsi, tu pourras toujours lui raconter tes malheurs », m'avait-il dit. Comme si un simple journal pouvait remplacer l'amour de Loan Kincaid. Cependant, je devais bien admettre qu'il m'avait été d'un précieux secours, ces deux derniers mois, entre le décès et mon déménagement, mon quotidien avait été grandement perturbé.

Irillium était une métropole comme beaucoup d'autres, on y trouvait des bars, des restaurants, une faune et une flore des plus intéressantes, des personnes plus ou moins fréquentables, des lieux de perdition, des infrastructures diverses et le prestigieux internat Valandryss où je venais d'être acceptée. Une ville comme beaucoup d'autres, donc, à ceci près qu'elle se situait dans une dimension étrangère à celle où j'avais toujours vécu. Autant dire que le changement était drastique. Il y avait une différence majeure entre, savoir que l'on venait d'un autre monde et devoir y retourner après l'assassinat d'un membre de sa famille.

Valandryss, ou la prison dorée des jeunes mages comme j'aimais l'appeler, était l'institution la plus renommée en matière d'Études Magiques des Sept Mondes : les meilleurs professeurs, les cours les plus prestigieux et les rejetons des plus grandes familles rassemblés au même endroit durant les cinq ans qui nous permettront de nous former dans nos domaines d'expertise. Pour les enfants, c'était l'occasion de passer les cinq meilleures années de leurs vies et d'avoir l'assurance d'un bon emploi à la clef. Pour les parents, la certitude de créer des alliances plus que fructueuses avec d'autres grandes familles. Cette école était la plus grande agence matrimoniale du monde magique.

On pouvait compter sur mon grand-frère pour avoir déjà exploré cette partie des avantages, un certain nombre de fois. Je n'avais jamais vu une fille résister au charme de Thaddeus Kincaid, mais en tant que nouveau professeur, il allait devoir calmer ses ardeurs, les relations avec les élèves, étant, pour des raisons évidentes, proscrites.

Quelques heures plus tôt, j'avais dit au revoir à mes parents et rejoint ma nouvelle maison accompagnée de la secrétaire personnelle de la directrice. Thad et moi étions pour l'instant les seuls à être arrivés, la rentrée n'ayant lieu que le lendemain, les futurs élèves passaient leurs derniers instants de libertés avec leurs parents. Pas nous. Mon père s'était comme toujours renfermé dans le travail et ma mère avait profité de cet interlude pour retourner dans sa famille quelque temps. Je m'en accommodais, cela me laissait un peu de temps pour me faire à l'idée que mon téléphone et mon ordinateur ne me serviraient à rien ici.

L'on m'avait donc installé dans une de ces grandes suites, réservées aux hautes familles. Pas de dortoirs communs dans cet institut. Lorsque l'on avait les moyens d'assurer à ses enfants une scolarité à Valandryss, on s'attendait à ce que ces derniers aient tout le confort qu'ils jugeaient nécessaire. Je partageais donc un petit salon avec une autre jeune femme, mais la chambre et la salle de bain étaient grandes et privatives, ces dernières étant assignées pour les cinq années minimales que duraient nos études, elles étaient décorées selon nos goûts. Je n'étais pas du genre exubérant, je m'étais contentée d'une décoration dans des tonalités sobres, comme le taupe ou le rose poudré. Le lit pouvait accueillir une équipe de rugbymen au complet, sur le bureau, on pouvait apercevoir les livres et tout le nécessaire pour les cours, l'uniforme de l'école était étendu sur le devant de la penderie, les autres vêtements déjà soigneusement rangés, y compris des robes de soirée et mes propres vêtements civils. La salle de bain regorgeait à présent de produits en tout genre. Bref, je n'étais pas prête de manquer de quoi que cela soit, sauf, peut-être de ma vie.

Comment expliquer à ses amis qu'ils n'auraient plus jamais de nouvelles de moi à partir du moment où les études supérieures commenceraient ? Je n'en avais pas eu le cœur, j'avais simplement disparu de la circulation, supprimant tous mes comptes sur les réseaux sociaux un à un, changeant de numéro de téléphone, puis j'ai rejoint Irillium, comme mon frère, mes parents, grands-parents, arrière-grands-parents et toutes les autres générations avant la mienne. Pourquoi ? Parce que telle était notre mission, nous étions les Gardiens des Âmes et une telle charge nécessitait une formation digne de ce nom. D'autant plus, lorsque notre mission nous octroyait des droits que peu de mages possédaient, même au sein des familles royales.

Dieux de la mort, divinités psychopompes, Shinigami, Ankous, Valkyries, Chamanes, Faucheurs, peu importait le nom que l'on nous donnait, ils étaient toujours synonymes de mort, d'âmes, de souffrance et de soulagement. Nous étions les collecteurs, les éradicateurs, célèbre caste de guerriers, la personnification même de la mort et un tel pouvoir avait tendance à effrayer le commun des mortels. Même les Hauts Mages avaient peur de nous, c'était d'ailleurs pour cela qu'ils nous honoraient de la sorte. Soit proche de tes amis et encore plus de tes ennemis, disait l'adage. Ils n'avaient pas idée à quel point cela pouvait être vrai. Nous ne répondions aux ordres de personnes, nous ne vivions que pour notre charge. Enfin... Jusqu'à ce que mon père choisisse d'épouser une Haute Mage des Eaux, une Nymphe de surcroît, donnant à ses enfants la double tâche de satisfaire, non seulement les Gardiens, mais aussi la famille Royale.

Les Gardiens étaient le lien entre les mondes, une entité nécessaire au bon déroulement de la vie en communauté, d'où que l'on puisse venir, la mort finissait toujours par frapper à notre porte. Mais les Sept Mondes avaient leurs lois et leur organisation, propre. Il y avait Prior, le monde sans magie où la technologie avait pris sa place, là d'où vient toute ma famille. Les Kincaid, étaient les faucheurs les plus importants sur Terre, une famille large, ayant tout pouvoir sur la mort. Il y avait Lumiae, la république où se trouvait Irillium et son prestigieux internat, maîtresse de l'Esprit et Freior sa jumelle maléfique, république des renégats, des mercenaires, chasseurs et tueurs en tout genre, gardienne de l'Ombre. Toute personne ayant un minimum de bon sens s'en tenait à l'écart pour des raisons évidentes. Puis, nous avions les Quatre Royaumes : Les Eaux, les Feux, les Terres et les Airs. Pas besoin d'être doté d'une intelligence folle pour comprendre ce qu'il en était.

Je reposai mon porte-plume et fermai mon carnet. Rien à faire, je ne parvenais pas à me vider la tête, à peu près tout ce que je voyais me ramenait à mon grand-père, aux choix que j'allais devoir faire et à cet institut de malheur. Dès demain, les élèves allaient affluer, venant de tous les Mondes.

Seule rescapée de Prior, j'étais l'une des rares à ce pas avoir pu exercer ma magie, alors que les autres étaient déjà tous rompus à l'exercice. Je partais avec un handicap majeur en plus d'une étiquette de Croquemort, je n'avais pas le talent de mon frère pour se faire des amis et nullement l'envie de frayer avec la Haute Société. Et pour couronner le tout, mon manque de connaissances pratiques sur Lumiae ou les Royaumes allait forcément me porter préjudice, malgré ma mise à niveau express effectuée durant l'été.

Je sentais déjà la migraine poindre le bout de son nez.


Psychopompe - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant