Chapitre Deux - Episode 2

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Tout comme le petit salon d'attente, le bureau de la directrice était élégamment décoré. Des meubles de couleur clair, un canapé moelleux, un bureau parfaitement rangé et organisé, les lampes à impulsion magique brillaient un peu partout, baignant la pièce d'une agréable lueur. La directrice, toujours moulée dans son tailleur, frappait de ses doigts parfaitement manucurés le bois de son bureau en lisant les notes étalées devant elle.

J'avais rarement été intimidée par les mages que j'avais rencontré. Pour être parfaitement honnête, le peu de mages que j'avais croisé durant mon enfance étaient ceux qui osaient braver l'absence de magie de Prior afin de voir mon père ou mon grand-père. (De manière générale, un mage n'aimait pas être séparé de sa magie, même temporairement. Il se sentait diminué et faible. Sur Prior, un mage élémentaliste ou psy n'avait aucun pouvoir, seuls, les spiritiques comme ma famille et moi en étions dotés. Le contrôle des âmes n'était pas une histoire de magie, non, c'était bien plus profond et complexe que cela.) Sa magie était omniprésente, puissante et se réfléchissait dans chacun des meubles ou des objets de la pièce. Même sans être hostile, une telle dose de pouvoir était impressionnante, cela créait une résonance qui me perturbait. J'avais dans l'idée que c'était le but de cette manoeuvre. Cela me décevait quelque peu, je ne pensais pas que même la directrice s'amusait aux jeux de pouvoirs. Elle avait beau s'occuper de jeunes avides de faire leurs preuves, je n'étais pas sûr que le défi qu'elle représentait n'était pas plus tentant que dissuadant.

Chez les Gardiens, la magie était passive, elle ne se manifestait pas aussi effrontément. J'oubliais souvent que nous faisons office d'exception dans le monde magique.

La directrice leva la tête vers moi et ses yeux verts étincelèrent derrière une élégante monture de lunette. Un sourire étira doucement ses lèvres. Il se voulait surement accueillant, mais je pouvais sentir d'ici les rouages calculateurs de son esprit entrer en branle afin de savoir comment profiter le plus possible de ma présence dans son établissement et d'en tirer un maximum d'avantages. La cupidité des mages était sans limite.

Elle me fit signe de m'asseoir et se replongea quelques instants dans ses notes.

— Eh bien, eh bien, on peut dire que ton arrivée ne laisse personne indifférent, Bria, déclara-t-elle, la voix toujours aussi douce. Ton frère aussi avait engendré ce genre de réaction, mais il faut dire qu'il sait y faire pour s'accorder les faveurs des gens qui l'entourent.

Je laissai échapper un petit rire. Oui, c'était le moins que l'on puisse dire, Thad était très doué pour cela. Mais je n'étais pas lui, et souffrir de la comparaison dès mon arrivée, paracheva ma descente en enfer.

— Très bien. Tes résultats sont tout aussi bons que contrariants. Tu as eu d'excellents résultats au test écrit, quant à l'examen physique, eh bien, tu as pour ainsi dire, les meilleurs notes de tous les premières années, garçons compris. Cela n'a rien d'étonnant, lorsque l'on sait ce que tu es. En revanche, comme tu t'en doutes, tes tests magiques sont alarmants. Je ne te parle pas de ta magie spiritique, de ce point de vue, il n'y a rien à redire. Malheureusement, tu as de très grosses lacunes en magie élémentale. Nous savons toutes deux qu'elle en est la cause, ce n'est pas la peine de revenir dessus. Mais, il va falloir remédier à cela, et le plus tôt sera le mieux.

J'hochai la tête, elle ne m'apprenait rien que je ne sache déjà.

Elle me tendit un papier sur lequel s'étalait mon emploi du temps et elle pointa du bout de l'ongle certaines des cases.

— Les cours de rattrapage sont obligatoires. Tu en auras six heures par semaine, tu iras aussi en approfondissement combat et spiritisme. Les cours sont du lundi au vendredi de 8 h à 18 h. En ce qui te concerne, tu auras aussi des cours le samedi de 10 h à 12 h et les lundis, mercredis et jeudis soirs de 18 h à 20 h. J'ai conscience que c'est un rythme assez astreignant, la première année est la plus difficile, elle vous enjoint à trouver votre spécialité. Ainsi, nous vous offrons un spectre larges de matières et de possibilités. Si tu travailles suffisamment dur et que les résultats suivent, ton volume horaire sera diminué au fur et à mesure de l'année.

J'osai un regard vers la feuille. J'avais, au minimum huit heures de cours par jour, sans les rattrapages et approfondissements, bien sûr. Histoire des Sept Mondes, des Grandes Familles et de la Magie, différents modules de pratiques de magie et de combat, de l'économie, droit, gestion, de l'herbologie et confection de remèdes, de la technique magique et investigations, des cours de bienséance et d'étiquette, études des langues et déchiffrage, de la science de la magie et de l'étude des rites et rituels, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer d'une telle liste. J'étais épuisée avant même d'avoir commencé mes cours.

La directrice marqua une pause en affichant une moue contrariée, comme si elle réfléchissait à ses propos.

— Je voulais aussi te présenter mes plus sincères condoléances, Bria. Ton frère m'a prévenu que tu as été particulièrement touchée par son décès.

En voyant que mon regard se durcissait, elle enchaîna rapidement.

— Ne lui en veut pas ! Il s'inquiète pour toi, voilà tout. Si cela peut te rassurer, son meurtre ne restera pas impuni, plusieurs enquêteurs sont en charge de découvrir l'identité du coupable. Et dès que j'en saurais plus, je t'informerai des avancées de l'enquête. Tu es en sécurité ici, c'est tout ce qui compte.

— Pourquoi, vous craignez que je ne le sois pas ?

Elle pinça si fort les lèvres qu'il n'en resta plus qu'une mince ligne crispée. S'il s'avérait que j'avais raison depuis le début, un simple habitant de Prior n'aurait pu venir à bout de mon grand-père, ainsi c'était obligatoirement un mage ayant trouvé le moyen de conserver un peu de magie pour effectuer sa sale besogne, qui s'en était chargé. On ne s'attaque pas à un Gardien comme cela, je soupçonnait un tueur à gage. Ainsi trouver le meurtrier ne mènerait à rien, c'est le commanditaire qui m'intéressait.

— Disons qu'il vaut mieux prévenir que guérir, ne penses-tu pas ? Tuer un Gardien, d'autant plus lorsqu'il est aussi puissant que Loan Kincaid, n'est pas donné à tout le monde. Crois-moi, dans le cas où ce forcené ait décidé de réitérer son exploit, je préfère te savoir ici à étudier, tes parents sont d'accords avec moi sur ce point.

— Je n'en doute pas instant, du moment que je ne suis pas dans leurs pattes, tout va pour le mieux.

Elle n'ajouta rien, elle n'en avait pas besoin, ce silence contenait à lui seul bien plus de réponses que tous les discours du monde. Je décidai d'en rester là pour l'instant, j'avais promis à Thad de ne pas faire de vague et de ne pas chercher à retrouver l'auteur de cet acte immonde. Je tiendrai donc ma parole, j'étudierai dans cette école afin de trouver ma place dans ce monde et tenter de le rendre fier.

La discussion close, elle me fournit la liste des lectures obligatoires, des salles de classe, des professeurs et quelques devoirs supplémentaires. Il me restait donc un weekend pour rattraper mon retard, enfin faire la connaissance de ma colocataire et accepter que ma vie était désormais ici et que la technologie de Prior n'en fera jamais plus partie.

Je pris les papiers et quittai le bureau. Son indiscrétion n'avait réussi qu'à m'enliser un peu plus dans ma dépression. Étonnamment, j'avais beaucoup de mal à supporter ceux qui se mêlaient de choses qui ne les regardaient absolument pas, et mon deuil ne regardait indéniablement que moi. Si Thad se mettait à demander à tous les profs de me ménager, de quoi allais-je avoir l'air auprès des autres ?

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Psychopompe - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant