Lettre N°1

45 6 0
                                    

J'ai dix-huit ans. j'ai dix-huit ans, bientôt dix-neuf, pourtant, j'ai l'impression d'être restée bloquée dans le temps, à l'âge de mes quinze ans. C'est comme si mon esprit, depuis, n'avait plus grandi. Comme si je n'avais plus mûri. Je suis coincée, enfermée dans une autre dimension bien loin de notre espace-temps. Tournée en arrière, à contempler le passé, à voir les autres évoluer, je reste sur place, collée au sol. Voilà maintenant trois ans, bientôt quatre, que je n'ai pas bougé.

Quant à toi, cher lecteur – à supposer que quelqu'un trouve cette lettre – je parie que tu es maintenant persuadé d'avoir affaire à une illuminée. Tu vas certainement survoler le reste de ce que j'ai écrit pour confirmer cette hypothèse ; une fois cela fait tu froisseras cette lettre et ces mots qui m'ont tant coûté partiront aux oubliettes, au fond d'une poubelle. Peut-être persistera-t-il un vague souvenir, teinté d'une pointe de curiosité, une question que tu te seras sûrement posée : pourquoi donc mettre une lettre anonyme dans une boîte à livres ? Y a-t-il une quelconque utilité à cet acte irréfléchi ?

Permets-moi donc de m'expliquer, cher lecteur, pour autant que tu continues ta lecture et en espérant que je n'ai pas encore retenu trop de ton temps. Tu l'auras sans doute remarqué, j'ai tendance à m'étaler, je tenterai donc d'être brève désormais – et j'ai bien dit tenter car, soyons honnête, je ne pense pas y arriver.

Ta question, cher lecteur, est censée. Je me la suis moi-même posée. Il faut croire que j'ai une âme romantique car j'ai envie de croire que la personne qui trouvera cette lettre – c'est à dire toi – prêtera une attention toute particulière à mes mots et aura envie de me répondre à son tour. Mais d'un autre côté, tu l'auras compris, je ne me fais pas trop d'illusions ; je me doute bien que tu me prends pour une folle qui devrait aller consulter.

C'est pourquoi je n'en dirai pas plus, du moins pas dans cette lettre, car je ne souhaite pas raconter ma vie à un parfait inconnu ingrat que ne me répondra sûrement pas. Mais si, par hasard, l'envie te prend de me répondre, eh bien il est possible que je t'explique, cher lecteur, d'où me vient cette étrange impression d'être restée bloquée dans le temps.

Plume


Plume et GuitareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant