Lettre N°9

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Chère Guitare,

Pour répondre à ta première question, je te dirais que la nourriture ne représente pas ma plus grande passion. Je mange pour vivre, ou plutôt survivre, point final. Je suis gourmande pour certains aliments mais même si j'apprécie particulièrement le chocolat noir, par exemple, je peux très bien m'en passer sans aucune difficulté. Pour être totalement honnête, manger m'a toujours paru être plus une corvée, une perte de temps qu'un réel plaisir. Je ne t'ai toutefois pas menti quand je t'ai dit que manger un croissant m'avait fait du bien, car je n'exclus pas que manger un plat particulier ou manger à un certain moment puisse être agréable malgré tout.

Concernant ton amie... je trouve ta vengeance un peu primitive et sans aucun lien avec le fait d'être en retard. Personnellement, si j'avais voulu me venger d'une telle chose, j'aurais fait en sorte de lui donner rendez-vous et de la faire attendre un après-midi entier. Je sais bien que nous réagissons tous d'une manière différente mais de là à l'asperger d'eau... j'admets que je ne vois vraiment pas le rapport. Et pour répondre à ta deuxième question, si j'étais elle je t'en voudrais... un peu. Donc une semaine me paraît une durée convenable pour te faire la tête.

Par contre, non, je ne répondrais pas à ta troisième question. D'abord parce que même si je te donne leurs noms je ne suis pas sûre que ça te serve à quelque chose car je doute que tu les connaisses, ensuite car même si je suis d'accord qu'ils mériteraient amplement qu'on leur remette les idées en place, je ne pense pas que la force soit une réponse adaptée à leur connerie. Pour la suite... oui je suis au lycée et non je n'ai pas encore dix-neuf ans.

D'ailleurs, en parlant de lycée, mon prof de français nous a donné un exercice sympa à faire aujourd'hui : écrire un texte sur le thème de la solitude, chose qui, me concernant, ne m'a pas posé le moindre problème étant donné que j'adore écrire et que la solitude... je connais bien. Alors voilà, cadeau :

« Univers parallèle

Après l'agitation bruyante et désordonnée du lycée, la monotonie des cours, les discussions animées avec ses quelques amis, elle rentre, retrouve l'appartement calme et silencieux, désespéramment vide. Même son chat n'est pas là pour l'accueillir, animal libre et solitaire préférant passer son temps à fureter dans le quartier plutôt qu'à dormir paresseusement sur un canapé.

Elle jette négligemment son sac sur le sol, suspend sa veste, lance un regard machinal à l'horloge de la cuisine pour vérifier l'heure sans vraiment la voir, se dirige vers sa chambre et s'affale enfin sur son bureau. D'un seul geste, elle sort ses planches, ses crayons, sa gomme, sa règle et installe tout précautionneusement sur la table. Elle regarde un instant ses croquis, les compare à ses dessins, vérifie qu'elle n'a oublié aucun détail, puis elle prend un crayon et commence à dessiner ; elle accentue quelques traits, en ajoute de nouveaux, en efface certains.

Complètement absorbée dans l'univers qu'elle s'est créé et qu'elle retrouve chaque soir, elle oublie rapidement l'heure. Le temps continue toutefois à s'écouler, fidèle à lui-même. Elle dessine longtemps, raconte en détail la vie de cette jeune fille qu'elle a inventée, celle qu'elle considère comme son parfait opposé. Une adolescente bien dans sa peau, à l'aise avec sa sexualité, et qui déborde de confiance en elle sans pour autant que cela devienne un défaut. Elle est appréciée, possède un groupe d'amis proches avec qui elle s'entend particulièrement bien, n'est pas en conflit avec ses parents qui l'aiment tendrement et qui sont toujours présents pour elle sans jamais devenir envahissants. La vie rêvée, en somme.

Et pourtant, Lee, c'est le nom qu'elle lui a donné, ne cesse de se questionner sur le monde, son fonctionnement, ses injustices. Au travers de ses dessins, grâce à Lee, elle parvient à faire le tri dans ses idées, dans les sentiments contradictoires qui se bousculent souvent en elle. Lee est son amie, sa meilleure amie, une amie de papier qui répond toujours présente et qui ne la décevra jamais. Raconter sa vie, voilà son seul et unique moyen pour s'échapper quelques instants de sa morose existence.

Passé vingt et une heures, elle relève enfin les yeux, mais ce ne sont pas les protestations de son estomac qui la font réagir, mais celle de Soli. Elle jette un regard au chat qui se frotte contre ses jambes, quémandant son lot de croquettes quotidien avec insistance. Avec un soupir, elle range précautionneusement ses dessins et crayons, se lève et se dirige vers la cuisine, Soli l'accompagnant avec des ronronnements chaleureux.

Elle prend la gamelle, manque de tomber en trébuchant sur le chat, saisit le paquet de croquettes à la hâte, remplit l'auge de l'animal d'un geste mécanique avant de reposer le tout par terre. Soli se jette sur repas avec gourmandise, engloutissant le tout avec une rapidité inouïe avant de retourner au-dehors sans le moindre regard pour sa maîtresse.

Elle ne s'en formalise pas ; cela fait longtemps qu'elle n'attend plus un seul geste d'affection de la part de cet animal qu'elle ne voit qu'aux heures de repas. Ses parents pensaient qu'un chat lui permettraient de se sentir moins seule durant leurs longs voyages, ils se fourvoyaient complètement. Soli n'était qu'une tâche supplémentaire pour elle et elle n'était qu'une pourvoyeuse de nourriture pour Soli. Rien de plus.

Elle lance un coup d'œil à l'horloge, fronce les yeux, pensant mal lire, puis sursaute en se rendant compte de l'heure plus que tardive. Vingt et une heures trente. Elle n'a toujours pas mangé. Elle ouvre le frigo, soupire en voyant qu'il est vide et qu'elle a encore oublié d'aller faire les courses. Il ne reste que quelques fruits isolés, un vieux morceau de fromage et les restes de pâtes qu'elle a faits à midi. Elle sait qu'il y a encore également un vieux croûton de pain sec dans la huche à pain mais si elle le mange ce soir, elle n'aura plus rien pour demain matin.

Le choix est simple et ne lui prend qu'une fraction de secondes ; elle prend les restes de pâtes et les mets réchauffer dans une poêle. Pendant que son repas chauffe, elle sort une assiette et des couverts qu'elle installe sur une table bien trop grande pour une seule personne avant de regarder à nouveau l'horloge. Encore deux minutes. Elle s'assied, enfin s'affale sur une chaise, et fixe l'aiguille des secondes d'un air vide, se rendant compte qu'elle n'a absolument pas faim. Il faut qu'elle mange cependant, elle le sait, elle n'a pas le choix, sinon son médecin va encore lui faire une morale de plus d'un quart d'heure lors de son prochain rendez-vous, la semaine prochaine.

Elle verse donc les pâtes tièdes dans son assiette et se met à les engloutir tout aussi rapidement que Soli a englouti ses croquettes. Une fois son repas fini, elle s'attaque à la vaisselle, lave, rince, essuie et range le tout. Enfin, elle se déshabille, enfile son pyjama, se brosse les dents, baisse les stores de sa chambre, allume sa lampe de chevet, éteint toutes les autres lumières de l'appartement et s'allonge sur son lit.

Ce n'est qu'une fois qu'elle se retrouve dans le noir complet, recroquevillée sur elle-même sous la couverture, le visage caché entre ses bras, qu'elle s'autorise enfin à pleurer. Seule. »

Sinon, c'est vrai que les lettres c'est pas le plus idéal des trucs pour partager une composition audio... mais tu pourrais peut-être la graver sur un CD ? Parce que j'ai pas super envie de te donner mon adresse e-mail étant donné qu'il y a mon nom dedans...

Et... j'aurais pas parié sur le fait que tu aies vingt-deux ans. Je te donnais plus de dix-huit ans, ça c'est sûr, mais je me serais arrêté aux alentours de vingt – vingt-et-un ans.

Par contre, je trouve ton idée de dire quelque chose sur nous à chaque lettre très intéressante, même si je t'avoue que je n'ai pas beaucoup d'idées... Bon, on va partir sur une information familiale. Je suis fille unique et je n'ai jamais connu mon père. Voilà.

J'attendrai ta réponse avec impatience,

Plume

P.S. Tu as peut-être un peu abusées avec les majuscules dans ta dernière lettre...


Plume et GuitareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant