Histoires d'éternité 3 - La croisière ne s'amuse plus

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-Tu as toujours le temps? Parce que des histoires d'yeux bleus, d'amour et de mort, j'en ai des tonnes comme ça ! tenta de plaisanter Jack.

-Continue. Continue, Jack, rétorqua le Docteur, extrêmement sérieux.

Alors l'immortel s'exécuta :

Voie lactée, Planète Terre, Océan Atlantique

20e siècle

Accoudé au bastingage, les yeux fermés, Jack Harkness laissait aller le cours de ses pensées sans chercher à les orienter.

Le brouillard l'environnait de partout, comme autant de légers doigts frais qui se poseraient sur sa peau. On était en plein de mois de juillet et dans quelques jours, ils atteindraient New York.

La fête battait son plein à l'intérieur et, s'il y avait prêté attention, Jack aurait pu distinguer des rires, de la musique et même des bruits d'éclaboussures. En effet, sur l'Andrea Doria, fleuron de la marine italienne et paquebot de grand luxe, on avait à sa disposition pas moins de trois piscines. Certains mettaient un point d'honneur à les utiliser, de jour comme de nuit.

Mais en cet instant, Jack était complètement indifférent à son environnement. C'est tout juste s'il retirait un léger plaisir de la brise marine qui faisait voleter ses cheveux et son long manteau de la RAF.

Il était mélancolique ce soir. Envahi, presque submergé par ses propres souvenirs. Dès les premières heures de la journée, il avait su qu'elle serait mauvaise. Enfin, encore plus mauvaise que d'ordinaire. Il n'aimait pas être sur l'eau. Son truc, c'était les airs, au cas où son manteau ne vous aurait pas mis la puce à l'oreille.

Jadis, il s'était approprié l'identité d'un pilote. Ce n'était pas par hasard. Depuis son enfance, il savait piloter. Certes, pas vraiment le même genre d'engins que ceux avec lesquels le vrai Jack Harkness avait acquis ses galons. Mais au fond, le principe était le même.

Il avait revécu la Seconde Guerre mondiale, non pas en joyeux observateur détaché comme la première fois, mais en acteur pleinement engagé. Encore une fois, il avait dit byebye à Torchwood. Il était parti aux Etats-Unis où il s'était arrangé pour apprendre à devenir un pilote, au sens où on l'entendait au XXe siècle. Puis il était revenu au Royaume-Uni, ce pays qu'il n'arriverait jamais à considérer comme le sien, bien qu'il y ait passé maintenant la majeure partie de sa vie. Il avait participé, à son niveau, à la lutte contre l'avancée du nazisme. A moitié par conviction et à moitié par goût de l'héroïsme. Il n'avait jamais eu autant de succès auprès des gentes féminine ET masculine que depuis qu'il avait réellement de quoi illustrer son titre de capitaine.

Il était toujours un imposteur, mais un peu moins.

La guerre avait provoqué une large hécatombe parmi les agents de l'Institut très secret de la reine. Ses nouveaux supérieurs à Torchwood, bien qu'un peu perplexes face à l'énergumène Jack Harkness, le traitaient comme un vétéran un peu spécial et non plus comme une anomalie ou une bombe à retardement. Le ton avait radicalement changé. Ce n'est pas plus « Jack, fais ceci ; Jack, tu vas là-bas ; c'est un ORDRE » mais plutôt « euh Jack, on aurait besoin de tes connaissances là ... Jack, tu veux bien t'occuper de telle affaire ? ».

S'il y avait bien une chose qu'Alice et Emily puis leurs successeurs avaient toujours été trop stupides pour comprendre, c'est que Jack était sensible à la gentillesse. A la politesse. Au fond, il n'était qu'un grand enfant. Plus on lui demandait gentiment, plus il faisait les choses de bon cœur. Aujourd'hui, onze ans après la fin de la guerre, il s'apercevait qu'il n'avait plus une seule fois tourné le dos à Torchwood. Non pas parce qu'il s'était soudain découvert une fidélité pour l'Institut, mais parce qu'il avait un boss bienveillant, des collègues amicaux et qu'il les appréciait tous sincèrement. Le talon d'Achille de Jack ? Son cœur, évidemment. Et encore, à cette époque, il ne savait toujours pas à quel point.

Histoires d'éternitéWhere stories live. Discover now