"Me promenant le long de la rive du passé
Ô toi l'églantine à la douce corolle orange,
Je t'aperçus telle une vision irréaliste .
Fleur sauvage au parfum délicat et caché ,
Symbole des pieux poètes, entends donc mes louanges,
A présent, tu renfermes la passion des artistes. "
Norah se trouva une vieille tasse un peu ébréchée dans le buffet. Elle l'aimait bien et se retrouvait un peu en elle. Ses motifs, qui des années auparavant étaient emplis de couleurs chatoyantes, ne laissaient qu'entrevoir des lignes aux dessins effacés et aux couleurs pâlottes. On pouvait encore distinguer les traits d'une souris bien connue dans les années 2000. L'entaille sur le bord était semblable à l'entaille qui meurtrissait le coeur de Norah. Cette tasse avait traversé des repas de famille, des quatre-heures, des fêtes, des disputes, des révisions; elle avait été bousculée par la joie, on l'avait fait tomber par inadvertance, elle était devenue le théâtre des potins et le réconfort dans les moments tristes, de solitude ou de réflexion... Elle était marquée par la vie tout comme l'était Norah à ce moment là.
Elle versa de l'eau chaude à l'intérieur et y plaça un sachet de tisane. La danse qu'offrait la fumée qui s'en dégageait hypnotisa quelques minutes la jeune femme. Mais elle était bien trop chaude pour la boire dans l'immédiat. Norah revint donc dans le salon qui était encore bondé de gens. D'un geste automatique, elle ramassa les assiettes vides en carton qui jonchaient la grande table de la salle à manger. Les convives s'étaient apparemment lassés de cette orgie de nourriture mortuaire. La jeune femme contourna une chaise puis avança son bras afin de brosser les miettes qui restaient au bord de la nappe. Dans un léger soupir, elle finit par empiler machinalement les verres en plastique. Elle se dirigeait vers la cuisine avec sa pyramide de vaisselle jetable lorsque son regard s'arrêta sur un objet. Une guitare siégeait à l'entrée de la salle à manger. Norah ne fut pas choquée, non, car elle savait pertinemment qu'elle se trouvait là. Mais, comme lorsqu'on ouvre une vieille boite à souvenir et qu'on en retire une photo jaunie par le temps, un sentiment de renouveau à propos de cette histoire déjà vécue s'insinue en nous. Norah tressaillit légèrement tandis que ses pensées se perdirent dans ces images poussiéreuses du passé.
Une main attrapa le manche de l'instrument. Ces doigts, d'une petite taille, bourrus, aux ongles écorchés et salis par la vie, trahissaient d'un métier manuel. La paume, dont les lignes de vie avaient été creusées à coup de burin, avait la corne épaisse des hommes de chantier. S'ensuivait un bras épais, barbouillé de plusieurs tâches de rousseur et d'un poil assez clair et fin. Le pied droit en appui sur une chaise, la guitare se balança quelques instants dans les airs avant d'atterrir sur le genou, légèrement bousculée par un embonpoint localisé au ventre. La main appuya alors ses doigts sur les cordes tandis que l'autre main ordonnait un petit mouvement de va-et-vient sonore. Les notes commencèrent à sortir les unes après les autres de cette caisse en bois.
"Les portes... du pénitencier"
Sous une barbe prédominante et d'un roux légèrement perceptible, une voix grave au fond suave entonnait la mélodie de Jonnhy Hallyday.
Norah, onze ans, regardait son père totalement émerveillée par ce jeu de rythmes et d'arpèges. Voir son père jouer était, pour elle, un moment de délectation tant la musique lui provoquait une sensation d'apaisement dans son cerveau déjà bouillonnant à son âge.
Lorsqu'il jouait, il avait ce sourire en coin qui dénotait de son air si sérieux et concentré. Son amour pour la musique se retranscrivait dans ses yeux clos qui savouraient chaque note, dans cette main relâchée mais sûre de son oeuvre, dans ces pieds qui se laissaient aller à un tapement en osmose avec le rythme effectué. Il s'arrêta de jouer et examina quelques secondes sa fille.
- Tu veux essayer ? Lui demanda-t-il gentiment après réflexion.
- Mais je ne sais pas faire... ronchonna légèrement Norah pas très sûr d'elle.
- Regarde... D'abord, tu prends ta main droite puis tu la passes au-dessus de l'instrument. Ensuite, tu prends ta main gauche et tu la passes dessous le manche. C'est un peu le moment difficile, lui dit-il en souriant.
Norah fixait le moindre fait et geste de son père, avide de comprendre comment il pouvait sortir un son de cet instrument. Cela paraissait tellement facile en le regardant.
-Là, continua-t-il. Tu dois casser le poignet pour pouvoir poser tes doigts sur les cordes. Et dès que tu as pincé les cordes, ta main droite rentre en jeu !
Il fit glisser ses doigts sur les cordes qui se trouvaient devant l'ouverture de l'instrument. Un accord se fit entendre.
- Trop bien ! Je veux faire pareil ! S'extasia la jeune fille.
Son père lui passa la gratte et la regarda attentivement. Norah prit le manche et commença à chercher dans quel sens le mettre. Étant debout et ne trouvant pas cela très pratique , elle s'assit sur le canapé pour plus de confort. Elle plaça instinctivement le manche à gauche et lança son bras au-dessus de la rosace. Vint alors le moment difficile. Elle essaya de placer ses doigts sur les cordes du manche et se retrouva bloquée. Son père rigola devant son incapacité.
- Mais comment tu fais !? demanda-t-elle perdant toutes illusions de réussir.
-Des années d'apprentissage, lui répondit-il les yeux pétillants de malice, un sourire derrière la tonne de poil qui lui recouvrait le bas du visage.
Il s'approcha d'elle puis posa sa main sur la sienne, la contraignant à une posture laborieuse à tenir mais qui permettait à ses doigts de pincer les cordes.
-Voila comme ça !
Il la lâcha et quelques secondes après Norah détendit son poignet dans un geste de soulagement.
-Pfff c'est trop dur ! Protesta-t-elle.
-Rien n'est trop dur, il suffit de se donner les moyens pour y parvenir...
Son père la gratifia d'un de ses regards empreints de sagesse et de douceur dont il avait le secret. Ses iris bleus-gris s'animèrent d'une tendresse et d'un espoir. Espérait-il, peut-être, que sa fille reprenne le flambeau de la musique qu'il aimait tant et qui , d'ailleurs, avait fait chavirer le coeur de sa mère.
Norah posa sa pile de vaisselle sur le bureau en marbre blanc qui se tenait à côté de la guitare et s'approcha de plus près. Ses doigts se perdirent sur les cordes qui lui murmurèrent un son doucereux. Une timide larme fila sur sa joue. Elle l'effaça rapidement du bout de ses doigts.
- Je n'y arriverais pas sans toi... Laissa-t-elle s'échapper à mi-mot.
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Un bouquet de Novembre [non fini]
Fiksi UmumLes souvenirs sont les doux baisers du passé. Ils s'entassent petit à petit dans cette vieille boite en ferraille qu'on a entreposé au fond du placard. Et lorsque notre esprit joue à cache-cache avec eux, il suffit d'une chanson, d'un lieu, d'une pe...