Un vent frais frôle mon visage et me réveille, ce qui me rappelle que je suis encore en vie, malgré tout. J'ai oublié de fermer ma fenêtre hier soir, encore. J'oublie toujours tout puisque plus rien n'a d'importance. Je regarde l'heure, il est quinze heure. Peut-être devrais-je me lever, peut-être pas. Ai-je réellement besoin de manger ? Pourrai-je me laisser mourir de faim sans craquer et courir vers le réfrigérateur ?
Je soupire et me redresse doucement, les jambes tremblantes. J'abandonne mes draps chauds et ma peau presque dénudée rencontre le froid glacial. Mon voisin me regarde à travers la fenêtre, il baverait presque, je ne comprends pas vraiment ce qu'il trouve d'attirant en moi, je ne suis qu'un tas d'os et de peau. J'ai une poitrine plutôt forte certes, mais ce n'est pas attrayant du tout sur mon corps trop maigre. Je le laisse me regarder un peu, qu'il profite, car c'est peut-être la dernière fois qu'il me verra vêtue de simples sous-vêtements, c'est peut-être la dernière fois qu'il me verra tout court. Je soupire à nouveau et me dirige vers mon placard, j'attrape mon peignoir et l'enfile délicatement, je me tourne face au miroir, une expression de dégoût fait son apparition sur mon visage. Je me dégoûte, mon corps me dégoûte. Je me hâte à fermer correctement mon peignoir autour de moi et sors de ma chambre en prenant un livre. Je m'installe sur le petit canapé dans mon salon après avoir mangé une orange et commence à lire. C'est comme ça tous les jours, c'est toujours pareil.
Après avoir lu durant plusieurs heures, mon livre fini, je le range et vais me changer. Je met un jean ainsi qu'un haut à manches longues et enfile mes chaussures. Je sors de mon appartement et marche durant un quart d'heure.
J'arrive enfin à destination; j'arrive enfin sur le pont où je me rends chaque jours, sans exception. J'observe le paysage qui s'offre à moi, les voitures passent sur la route juste derrière moi créant une brise agréable. Mon corps est vide, mon esprit est vide, ma vie est vide, tout est vide chez moi, tout est toujours pareil, c'est ennuyant, c'est désespérant. J'attends d'avoir le courage de sauter de ce fichu pont, mais je sais que je n'aurais jamais ce courage. C'est pourquoi je ne regarde plus à droite et à gauche avant de traverser. C'est pourquoi je ne mange plus à ma faim. C'est pourquoi je ne fais plus attention à éviter des ruelles mal réputées ou trop sombres. C'est pourquoi je ne fais plus attention à rien. On pourrait dire que je suis idiote, que ça ne sert à rien, que je n'ai qu'à avaler une bonne dose de médicament, un peu d'alcool et le tour est joué, que ce serait plus rapide si je me suicidais, une bonne fois pour toute. Mais je n'ai tout simplement pas le courage de le faire, alors j'attends, je prends des risques, je me laisse aller. Mais le destin ne veut pas me laisser mourir.
Comme d'habitude après avoir passé quelques heures à attendre d'avoir le courage de sauter, je pars au magasin acheter de quoi manger et je rentre chez moi. Je m'installe dans mon canapé et mange le repas tout juste préparé. Je n'ai pas de télévision, je n'en veux pas, je ne veux pas savoir ce qu'il se passe dans le monde, je suis déjà assez dégoûtée de la vie comme ça, alors savoir que les petits africains meurt de faim, ça me dépite...
Une fois mon repas fini, je vais me coucher mais je ne trouverais pas le sommeil, comme d'habitude, j'attendrais sagement dans mon lit.
***
J'ouvre les yeux, la lumière du jour m'aveugle, j'ai encore oublié de fermer ma fenêtre et les volets par la même occasion. Je me lève doucement, le voisin est sagement assis en face de sa fenêtre et attends de voir son petit plaisir du matin comme à chaque fois, c'est-à-dire mon corps presque nu. Lorsqu'il m'aperçoit il sourit, j'hésite tous les matins à lui faire coucou de la main, mais à chaque fois je ne le fait pas. Peut-être que je peux le faire, aujourd'hui, pour une fois.
Je soupire et le salut, il a l'air surpris mais se ressaisit rapidement et part se cacher, mais sa tête dépasse toujours un peu et je le vois me mater. Pervers.
Je soupire à nouveau et part enfiler un peignoir en évitant cette fois mon reflet. Je prends un nouveau livre et sors de ma chambre, je m'installe sur mon petit canapé, comme d'habitude avec une orange. Je finis mon livre et part m'habiller, j'enfile toujours le même type de vêtements ; un jean, un haut à manche longue et des chaussures simples, puis je sors de chez moi et me rends au pont, comme d'habitude.
La vue est toujours aussi magnifique, les voitures circulent toujours autant derrière moi, le vent est toujours aussi frais. Rien n'a changé. Rien. Rien. Rien. Rien.
— C'est beau hein ?
***