Ils savent. Ils savent qu'ils sont aussi fous qu'eux. Tout le monde le sait. Mais tout le monde fait pareil. Qu'est-ce que je fou là ?
Il me fixe du coin de l'œil. Depuis que je suis arrivé il ne me lâche pas. Il m'oppresse. Je veux lui arracher les yeux. Lui demander ce qui cloche chez lui plutôt que chez moi. Cet horrible bruit que mon crayon fait contre la table. Pourquoi je sais pas m'arrêter ? Je me lève. Il se prépare à me suivre. Je sors. Je vois Martin assit encore sur sa chaise en plastique, la tête dans ses paumes.
- Il continue.
Il se tourne vers moi. Me pointe une chaise du doigt.
- Je peux plus rester là. Ça sent la merde et la pisse de ces sortes d'âmes supérieures qui tournent autour de nous.
Il hoche la tête.
- Mais dis un truc.
Il ouvre la bouche pour aspirer puis relâcher cet air bruyamment.
- Parfois j'ai l'impression que rien ne s'arrêtera. Que le futur n'existe pas, qu'il n'y a que le présent et pourtant...
Je regarde devant moi une femme en blanc passer.
- Pourtant le passé a condamné mon futur. Comment on fait pour s'en sortir ?
Il hausse les épaules.
- Comment tu fais pour oublier les familles qui te détestent maintenant ? Et les regards des enfants qui prennent peur ? Moi ça me détruit et rien n'arrive à changer. Je suis bloqué. Ça me désespère.
Martin me fixe. Il déteste parler de lui ainsi. Pour lui, tout est injuste du moment où on le juge à cause de l'amour qu'il porte.
- Je sais. Tout le monde me dit d'écrire et d'arrêter de parler. Mais j'arrive pas. Je fais des fautes d'orthographe. Je le sais. Personne me corrige. Ça m'angoisse, faut que je parle sinon ça va plus. Déjà là...
Je lui montre mes mains qui tremblent. Je regarde autour de nous.
- Il ne me suit plus mais je peux rester dans cet état de longues minutes qui se transforment en heure. Tu me trouves fou ?
Il secoue la tête négativement.
- Parle. J'ai peur que tu ne sois rien.
Il souffle.
- Qu'est-ce que je suis alors ? demande-t'il.
- Qu'est-ce que je suis ?
Je m'effondre sur la chaise, à moitié en dehors. Je glisse presque telle une goutte.
- J'y repense.
- Alors arrête.
- Au début je pensais que t'étais la seule personne censée de cette endroit. La seule personne qui me comprend, on est sur la même longueur d'onde. Et plus je passe du temps avec toi, plus je me dis que c'est toi qui dois te sentir seul et incompris.
- J'ai eu un ami pareil que toi. Il parlait beaucoup, s'inquiétait et pleurait et angoissait et se posait un tas de question.
- C'était un gosse ?
Il prend une gorgée de café. Une brise lève ses cheveux brun. Je touche mon crâne rasé. Me redresse sur la chaise. Le temps se couvre. Il me regarde après s'en être aperçu.
- On va devoir rentrer, dit-il en se levant.
Il emporte avec lui sa tasse de café et rentre dans le bâtiment. Sa silhouette disparaît dans les couloirs sans fin, je me lève et rentre à mon tour. Je retiens ma respiration le plus longtemps possible. Ils m'infectent avec leur puanteur et odeur de médicaments. Mais au bout d'une minute je m'oblige à reprendre un peu d'air, quitte à mourir.
- Mourir à cause de l'air.
- Tu ne vas pas mourir, on me dit.
- J'ai jamais dit ça ! m'exclame-je.
Mais la personne ne m'écoute déjà plus. C'est comme ça ici, tout le monde a son mot à dire alors que personne n'écoute. Ne s'écoute lui-même ou écoute les autres.
- Et puis, quoi ? Si je vais mourir...je meurs. Pourquoi je devrai pas le faire ? Qui est mieux placé que moi pour décider de ça ?
- Dieu.
Je le dévisage.
- Ah ouais ? Et c'est quand que tu meurs alors ?
- Quand ton heure est venue.
- "Mon" heure ? C'est quoi cette idiotie ? Elle peut pas être "mon" heure. L'heure est à n'importe qui, à n'importe quel moment. Ce qui veut dire : à tout le monde.
- T'es unique.
- Qu'est-ce qu'on fout là dans ce cas ?
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La pluie
Short StoryJe regarde par la fenêtre, le ciel dégagé, une lueur du soleil qui m'éblouît mais qui ne me fait pas ciller. Tout se couvre pourtant. Martin aurait dû se faire tuer en prison mais, pour une raison que j'ignore (est-ce que je m'en préoccupe), il a...