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Ma chère Madeline, 

Je vais être honnête avec toi. La guerre n'est pas comme je l'avais imaginé : elle est pire. L'enfer sur terre existerait donc ! Je ne peux pas concevoir que l'être humain soit à l'origine de cette boucherie. Je ne veux pas y croire. Je nous savais stupide, mais nous en devenons plus qu'une définition : nous en devenons l'interprétation. 

Nous dormons tous collés les uns aux autres, sous terre.  Nos peurs se confondent dans ce nid d'anxiétés, mais les souvenirs des êtres qui nous sont chers les font taires. Oui, je l'avoue ma chère, parfois je m'abandonne parmi le bruit des bombes et des fusils, à penser à ton sourire et à tes larmes. Et j'aime me laisser croire que peut-être, alors, cette guerre pour les hommes du même milieu modeste que le miens, pourrait avoir un sens : l'amour. 

Nous sommes marionnettes de la société. Nous nous battons pour quelques mètres de terre contre des centaines de vies, pour ces politiciens qui ne savent que taper du poing sur la table. Mais l'un d'entre eux a-t-il vu ne serait-ce que l'horreur des tranchées ?

Hier encore, alors que les explosions des Allemands nous obligés à embrasser le sol, je cherchais des yeux ton frère Christian. Nous étions toujours ensemble, et cette fois-ci, je ne le vis pas. Je m'étais mis à ramper à sa recherche dans la boue remplie de rats et de mes camarades à présent dépourvu de chair. Je rampais à en perdre haleine ma belle, je te le jure. Je me préparais au pire. Et le pire arriva. 

Christian était assis dans un coin, tremblant, blême. Quand je pense au nombre de jeunes hommes comme lui qu'on lançait dans la guerre avant même qu'ils aient commencé leur vie, cela rendait malade. Ses yeux marron remplis de peur s'adoucirent en me voyant arriver dans sa direction. Il tentait de se lever pour me rejoindre au plus vite. Il n'était pas encore debout que je lui hurlais de rester à sa place et de m'attendre. Mais tu le connais mieux que moi, Madeline. C'est vraiment le gamin le plus borné de cette terre. Alors son mètre 90 s'étendit. Il m'adressait un sourire que je ne lui avais jamais connu. Ses yeux étaient emplis de larmes. Il semblait au milieu de cet enfer, l'incarnation de la paix. Je m'étais quelques secondes arrêté pour l'observer, surpris. 

Puis la détonation du diable retentit, recouvrant la terre humide de sa couleur favorite.

Je ne te préciserai pas l'horreur de cette image qui me hantera à vie, je préfère te l'épargner. Je veux juste que tu te souviennes de son sourire, et que ce soit l'unique chose que tu gardes de lui. Je suis désolé, de t'annoncer de telles nouvelles ma chère, mais je n'ai pas encore terminé. 

La principale raison de ma lettre est tout autre. 

J'aimerais que tu te souviennes, Madeline, combien je t'aime, et que tu ne l'oublies jamais. Tu étais et restera ma seule raison de survivre et de me battre, dans la vie comme ici. La photo de nous deux sur l'herbe que tu hais tant,  je la tiens dans ma main, dans son creux. Tu as comblé mon vide, éteint mes peurs, et tu m'as aimé. 

J'ai toujours du mal à y croire, qu'une femme aussi belle et intelligente que toi aime l'homme que je suis. Et pourtant les années me prouvent que je ne rêve pas. 

Plus jeune, je ne me voyais pas finir ma vie avec une femme qui sort de mes critères : des cheveux blonds, des yeux marron, une grande timidité, mince, grande...

En clair, tout l'inverse de ce que tu es. Mais tu m'as appris que l'amour était tout autre qu'un simple désir. C'est incontrôlable, et même 10 ans après, je ne peux m'empêcher de tomber un peu plus amoureux de toi à chacun de mes souffles. J'aime tout de toi ! Ta manière de t'habiller, ton corps pulpeux, tes yeux d'un bleu que je n'ai vu nulle part ailleurs, ta gestuelle, ta maladresse, ton rire, tout ce que tu hais de toi. 

Je t'aime par ta simple existence.


Tu m'as offert ce que peu d'êtres ont la chance de connaître : un véritable amour. 


Je n'aurais jamais assez d'une vie pour te remercier, pour t'aimer. 

Mais ma belle, la mort de ton frère m'a fait beaucoup réfléchir. Les hommes meurent, les femmes les pleurs. Tu as déjà perdu ton frère, et je ne suis pas là, avec toi, pour te prendre dans mes bras. 

J'ai entendu dire que parfois, lorsque certaines situations deviennent trop difficiles, trop douloureuse, il fallait apprendre à laisser les gens qu'on aime s'en aller.

Si je meurs ici, dans l'injustice de la guerre, je n'ose même pas imaginer tout le mal que cela te procurerait. Je sais pertinemment que tu en voudrais au système, à la vie. Tu te mettras en danger, te torturant l'esprit, en te demandant ce qui se serait passé si tu m'avais retenu avec toi, dans notre illusion. Je n'aurais de toute manière jamais accepté. Je n'aurais pas pu me regarder dans une glace suite à ça. 

Ma gorge se noue, mes larmes me montent, mais je veux t'offrir se luxe, d'avoir quelqu'un dont tu connais les traits par cœur, à détester. Il n'y a pas plus grande torture que de haïr une foule sans visage, ou quelque chose d'aussi éphémère que la vie. Que tu me détestes était l'une de mes plus grandes peurs. Mais je partirai en paix, en sachant que cette haine, tu pourras ainsi la contrôler.

Ma plus grande satisfaction mise à part notre chemin ensemble, est finalement le fait que nous n'ayons pas réussi à avoir d'enfant. Je sais que tu vas croire que je délire en disant cela. Mais savoir que ma  descendance ne pourra jamais vivre ce que la guerre nous arrache, puisque je n'en ai pas, m'enlève d'un poids. 

Madeline, ma femme, je crois qu'il est temps de conclure... Sache que tu auras fait de moi le plus heureux des hommes. Alors je n'ai plus qu'une chose à te dire, pour mettre un point finale à cette histoire qui est la nôtre.

Je te laisse partir.

                                                                                                           


                                                                                                              L'homme qui ne cessera jamais de t'aimer, 

                                                                                                                                                            Jacques




 











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