Cher Corps #6

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Une peinture de José Royo, un peintre espagnol impressionniste.

Voici un nouveau "Cher Corps" et merci à @Ladylscia pour ta confiance et bonne lecture !

I. Témoignage

Voici mon texte ! :)

Moi c'est Iscia. Un prénom pas très banal hein ? J'ai toujours eu l'impression que je l'étais. Pas banale.

Quand je suis née, j'étais un bébé tout ce qu'il y a de plus normal. Poids normal. Taille normale. Développement normal. Une légère jaunisse – rien de grave. Ça a continué, j'étais normale. Parfaitement normale. Ma mère n'avait pas de problèmes à me donner la tétée, les petits pots, tout ça.

Puis un jour elle est passée au biberon. J'ai refusé en bloc. Alors elle m'a fait la diète. Pendant un jour entier, je n'ai pas mangé, pas bu. Le soir, affamée, je me suis jetée dessus. À partir de là, il n'y a plus eu de problèmes. Du moins c'est ce que ma mère croyait.

L'étape suivante fut les morceaux. Là aussi, ça n'est pas passé. La différence, c'est qu'elle avait beau essayer, je ne voulais pas. Non. J'ai grandis ainsi, n'acceptant que les compotes, la purée, aucune chose solide. Même à la crèche, j'étais juste la chieuse de service. Alors que tous les autres mangeaient normalement, moi j'avais droit au reste. Ils étaient jaloux. Moi aussi je l'aurai été à leur place, non ? Seulement c'était moi qui étais concernée, pas eux.

Ça a duré environ deux ans. Après j'ai commencé à accepter les morceaux. Je mangeais des pâtes, du pain. Du riz. Des féculents. Quoi d'autres ? Pas grand chose. Des carottes. Un peu de viande, mais vraiment très peu.

Je n'étais plus normale. J'étais bizarre.

À la cantine, on nous forçait à goûter de chaque plat. Moi j'étais tellement bornée qu'ils ont vite abandonné. Je ne mangeais tout simplement pas.

J'ai toujours été mince, voire maigre. Quand je revois des photos de moi petite, je trouve ça moche. Je n'étais pas anorexique – je ne l'ai jamais été – mais c'est c'est l'impression que ça donnait aux autres. Extérieurement du moins, une fois qu'ils me connaissant ils savaient. Pourquoi plus tard j'ai pu amener mes repas à la cantine, puis au collège.

Par l'endroit où j'habitais, mes parents ne pouvaient pas me prendre à manger le midi, comme je ne pouvais pas rentrer chez moi. C'était un véritable handicap. Je me souviens le matin, quand je pressais mon père pour ne pas arriver en retard. J'étais loin de l'être, seulement je devais amener mon repas à la cantine pour le midi. Pour se faire, je devais arriver avant tout le monde, à la garderie du matin. Je détestais arriver après, parce que j'étais beaucoup trop timide et que ça m'obligeais à demander aux adultes de m'aider, et souvent ils n'étaient pas contents.

J'ai toujours eu des amis. J'étais la fille timide, mais qui ne se laisse pas faire facilement. Tout le monde s'entendait bien avec moi, parce que je ne jugeais pas, parce que je ne me mettais pas souvent en colère. J'étais autant amie avec la pétasse de service qu'avec le clown de la classe ou la fille bizarre. Oui, j'ai toujours été appréciée. J'avais et j'ai toujours mon groupe de copines. À la cantine je leur donnait toujours le reste de mes pâtes ou autre.

Je ne finissais jamais mes repas. Parce que tout les jours, le midi comme le soir, je mangeais des pâtes. Parfois du riz, et, vraiment très rarement, de la semoule. Sinon je m'alimentais au pain.

Par le fait de mon alimentation, je suis restée très mince. Un fil de fer, une asperge, une perche, un spaghetti, une girafe... Voilà comment on m'appelait. Honnêtement, je m'en foutais et je m'en fous. Oui parfois, je le trouve trop grande ou trop mince. Mais en même temps je suis fière de mon corps, je suis bien dedans et je n'ai pas de complexe. Certainement qu'il m'arrive de passer mes bras autour de ma taille, et d'être surprise de pouvoir en faire le tour. Ou d'ansérer mon poignet d'une main et pareil, de constater sa minceur.

Mais est-ce que c'est mal pour autant ? Tant que je ne met pas ma santé en danger et que je me sens bien, alors je n'ai aucune raison de douter. Et je ne doute pas. Je m'accepte et je m'aime comme je suis.

Oui, j'ai de l'acné depuis mon entrée au collège. Oui, j'ai eu ma puberté très tôt. Ce qui signifie que j'ai eu mes règles à onze ans, que j'ai eu de la poitrine aussi.

Parfois j'entends ces gens critiquer. Ceux qui disent que de toutes façons, le monde est con et hypocrite. Que les femmes à la petite poitrine et aux formes généreuses sont les plus belles. Que les poignées d'amour vallent mieux que des jolies jambes ou qu'une taille fine. Ils ont tords; personne n'est mieux que personne. Nous sommes tous beaux comme nous sommes, du moment que nous nous acceptons. Pour faire partie de la catégorie des personnes aux corps de mannequins, je peux vous assurer que ce n'est pas le plus facile. Loin de là. Alors arrêtez de dire que nous sommes privilégié au avantagé. C'est faux, completement faux.

Je suis différente, parce que je suis néophobe alimentaire. Oui, c'est un trouble alimentaire. Non, ce n'est pas dangereux. Oui, c'est chiant au possible. Parce que j'ai peur de la nouveauté. Mais je n'ai pas peur de moi même, je n'ai pas peur de ce que je suis. Les gens ne peuvent pas me blesser, même les «Mais tu vas mourir quand tu seras grande si tu continues comme ça !» et les «Tu ne seras jamais en bonne santé.» ne m'atteignent pas. Même mon médecin qui est obnubilé par le fait de me faire manger des yaourts pour que ma croissance soit régulière.

Rien. Je suis en bonne santé, et je m'aime. Malgré l'acné et les quelques moqueries, je supporte mieux les insultes que les compliments.

On est moches et on est beaux à la fois. Tout dépend du point de vue ou des goûts de la personne qui nous regarde. Moi je pense que le seul avis qui compte est le nôtre, alors remettez-vous en question. Ce n'est pas aux autres de vous apprendre comment vous accepter, c'est à vous même.

II. Interview

D'où vient cette néophobie ?

Je ne sais pas du tout. C'est vraiment quelque chose qui a toujours été là, et qui l'est toujours. J'ai fait des recherches parce que c'est vraiment un TCA pas très connu et j'ai appris que c'était surtout une phase normal du développement des enfants. Sauf que pour certaines personnes ça se prolonge ou ça ne s'arrête que beaucoup plus tard... Voire jamais.

Si on te force à manger, que ressens-tu ?

La plupart du temps, on ne me force pas vraiment à goûter quelque chose qui me répugne. Parce que ça me fait peur et ça me répugne à la fois. Mais quand on me force, c'est souvent parce que mes parents me font du chantage, ou alors quand je dois prendre un médicament. Dans ces cas-là, je met vraiment, vraiment longtemps à goûter l'aliment/médicament/etc. Comme quelqu'un qui aurait peur du vide et qui hésiterai à sauter. Ça peut aller jusqu'à deux heures... Mais après je n'en prend qu'une petite portion que je recrache presque aussitôt. Les nausées c'est plus quand je vois des aliments qui m'ont l'air particulièrement dégoûtant (la ratatouille, le chili, la gelée...) ou qui ont une très forte odeur. Je suis hypersensible au niveau de l'odorat, donc c'est encore plus difficile pour moi.

Je vois. Selon toi, considères-tu la néophobie comme un handicap ? Après tout nous sommes tous différents face aux troubles :)

C'est plus handicapant dans ma vie de tous les jours. Je me demande toujours si plus tard je pourrais encore amener mon repas au self ou des choses dans le genre. Et puis je dois faire plein de démarches qui sont plutôt compliquées, sans compter tous les gens qui ne comprennent pas et qui me demande pourquoi je suis différente...

Je veux bien te croire. Quelles sont démarches précisément ?

C'est surtout faire des demandes un peu partout pour avoir des aménagements. Si je veux faire un voyage scolaire, ça va être compliqué pour la nourriture. Pareil si je dors chez une copine, si je vais au restaurant, etc...

III. Mot de la fin

Euh... Je suis pas très douée pour les réflexions philosophiques. Disons juste qu'il ne faut pas se soucier de l'avis des autres, seul le nôtre compte. Je pense qu'à force de s'en foutre des remarques, ça fini par ne plus nous atteindre. Et... Je sais pas trop quoi dire d'autre.

Déjà, merci pour vos mots touchants me disant que c'est un super projet, aussi de prendre le courage de participer et de se lancer dans l'écriture pour... parler de soi ! Et je sais combien c'est complexe, moi la première ! Un des projet qui me tenait à coeur et que j'ai vraiment pue réaliser et cela grâce à vous !

Cher corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant