Les rues étaient sombres, englouties dans le néant et l'interdit. Le silence se propageaient, à la manière d'un prédateur, s'apprêtant à plonger une nouvelle fois le cœur des habitants dans un mutisme assourdissant.
Pourtant un cœur semblait inatteignable, protégé par un esprit saisi par l'insomnie. Son trouble était tel que le Frater lui-même n'en saurait la cause. Ainsi, sous le poids de l'obscurité, deux yeux brillaient dans l'excitation de la désobéissance mais aussi dans la tristesse d'une fin inévitable. Les lèvres entrouvertes, les oreilles tendues, les mains crispés, elle se tenait devant sa fenêtre à scruter le sommeil lourd de ses voisins.
Une journée qui meurt, une autre qui naît. Ce genre de spectacle avait pour habitude de suffire à son existence, mais aujourd'hui elle s'en lassait. C'était la fin d'un jeu qui exaltait son quotidien et le début d'un ennui qui se confirmerait à l'aube, lorsqu'elle s'en irait enlacer une vie peu séduisante.
Bientôt 19 ans qu'elle patiente. 19 longues années à faussement dormir, les yeux mi-clos, le cœur lourd. Pourquoi n'était-elle pas heureuse de voir l'attente mourir au bout du chemin ? Après tout, les jeunes de son âge s'impatientaient là où elle tentait de repousser, en vain, cette journée. Les jeunes de son âge s'exaltaient à l'idée de devenir qui ils sont réellement là où la peur lui criait qu'elle allait bientôt se perdre.
La cause de son mal était simple à deviner. Les jeunes de son âge étaient ce qu'elle ne pouvait et ne voulait être. Et c'était mal.
Elle essayait de se remémorer à partir de quand son chemin à dévier du bon, du juste, de celui qu'ont emprunté les autres. Mais rien ne lui venait à l'esprit. Rien ne semblait expliquer sa folie, son inconscience. Aucune excuse à l'horizon. Elle était ainsi, dès la première inspiration, la première irritation de gorge, le premier cri. Elle se rappelait les tests qu'on lui faisait faire dès sa plus tendre enfance. La manière dont l'évidence naquit dans le regard de ses instituteurs sur la voie soi-disant taillait pour elle – A moins qu'elle n'ait été taillée pour cette voie.
« Tu deviendras une superbe informaticienne ! Il n'y a aucun doute, tu es faite pour ça. »
Tout allait bien dans le meilleur des mondes, elle était faite pour ça et rien ne pouvait la faire douter. Rien, à part elle-même.
Le monde tournait d'une manière qu'elle ne pouvait comprendre, ni accepter. Mais son avis importait peu, la vie était ainsi sans son accord. Pourtant elle ne pouvait s'empêcher de ressasser, en une liste interminable, tout ce qu'elle ne supportait pas. En y repensant, elle n'était qu'une gamine boudant de ne pas avoir ce qu'elle voulait. Car ce n'était que cela, une histoire d'ego. L'histoire d'une petite fille qui s'estimait avoir le droit de sortir et de jouer les aventurières, mais qui avait été jugée inapte à plus que de la programmation.
Quelques bruits vinrent chatouiller ses oreilles, la perturbant dans sa contemplation – et ses questionnements. Néanmoins, elle ne chercha pas du regard la source du bruit. Elle la fuyait en rentrant se réfugier dans son lit. Car elle savait déjà qu'est-ce-qui en était la cause.
C'était eux. Ceux choisis pour sortir de cet enfer et explorer le véritable monde. La jalousie, la colère, la tristesse, tout se mêlait en elle lorsqu'elle osait penser à eux. Ils touchaient du doigt l'eldorado qu'elle ne pouvait à peine effleurer. Elle n'était pas la seule à les envier, mais ils étaient les seuls à éveiller en elle cette envie de surpassement de soi – et cette rage qui la comprimait un peu plus chaque jour.
Mais aujourd'hui, elle ne pouvait pas y faire face. Elle ne pouvait les voir, s'en aller exécuter une tâche qu'elle ne serait jamais invitée à faire. Elle ne pouvait se permettre de rêver être à leur coté alors que, dans quelques heures, elle serait officiellement et aux yeux de tous une informaticienne. Ni plus, ni moins.
Absurde était le mot qui la décrivait le plus d'après elle. Cela fait plus d'une décennie qu'elle savait où serait sa place. Plus d'une décennie qu'elle savait que ses rêves ne se réaliseraient jamais, qu'elle serait piégée sous terre jusqu'à la fin de sa vie. Alors pourquoi tout s'effondre aujourd'hui ?
L'espoir. Cette chose qui jubile de nous voir se mouvoir face à l'impossible.
Le coussin sur le visage, comme pour s'empêcher de respirer, Ezra s'imaginait un monde sans catastrophe. Un monde vivable, où la terre féconde de nouveau, où l'air est respirable, où la vie est possible. De la neige, de l'herbe, des fleurs, des arbres, des animaux. Autant de fantaisies qu'elle le voudrait, possible ou non. Un monde tel qu'il était avant, comme elle l'avait appris dans les livres.
Elle se sentait honteuse de penser de cette manière. Si quelqu'un pouvait lire dans ses pensées, il jurerait qu'elle est Antagoniste. Une de ses personnes qui ne suivent pas les règles, qui se présente contre le système du Frater. Une de celles qui n'iraient pas à leur remise de titre par exemple – Mais je n'en suis pas une, Se disait-elle, les yeux embrumés par un sommeil soudain.
Ne pas y aller.
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Mater
Science FictionIls disent que Mater est morte. Que la vie se meurt. Que la vie est impossible à l'extérieur. Sous-terre, aux ordres de Frater, tout fonctionne selon un système dont les engrenages furent soigneusement étudiés. Pourtant, il semblerait que quelques r...