Bien qu'une certaine excitation mêlée à de l'appréhension se faisait sentir, le réveil fut bien plus calme qu'à l'accoutumer. Pas de Wining ou de chronomètre en vue. Seulement de jeunes officiers s'apprêtant de leur plus bel uniforme, un vrombissement au ventre.
Nolan se tenait nu face au miroir, étudiant ce qui semblait être son corps. Il s'obligea à regarder cette enveloppe de chair, qu'il avait du mal à considérer autrement que par le vaisseau le maintenant sous les lois de la gravité. De grands yeux bleus paraient sa peau mielleuse et ses boucles chocolatées aux reflets d'or. Son visage en diamant dessinait finement une mâchoire peu prononcée, adoucissant son regard habituellement dur. Grand, bâti d'épaules larges et sculptées, il gardait une silhouette svelte comparée à d'autres. Cela cachait toutefois de très bonnes capacités physiques et une endurance à toute épreuve, fruit d'un entrainement optimal et rigoureux.
De souvenir, Wining fut toujours mieux apprêté lors de ses interventions orales – ce qui n'était surement pas une coïncidence. Bien que l'idée le gênât quelque peu, il se décida à faire de même. Il n'était pas habitué à prendre soin de son apparence, ou à scruter son reflet autant que possible comme le faisait si bien Ivak, mais les circonstances actuelles ne lui laissaient pas le choix. Il s'efforça de sélectionner les vêtements les moins froissés et peu délavés, pour mettre davantage en valeur le vert de son rang. Par la suite, il cira du mieux possible ses magnums les moins usés et accrocha à sa chemise ses plus belles médailles – parmi elles, une le récompensant pour le sauvetage risqué d'un de ses camarades lors d'un éboulement, il y a de ça 2 ans. Enfin, il tenta de dresser quelque peu ses cheveux rebelles détonnant avec son tempérament docile.
Se regardant une nouvelle fois dans la glace, il se reconnaissait encore moins. Mais c'était pour le mieux, se disait-il. Il voulait faire honneur à l'enseignement que Mater lui avait accordé, et ceci passait également par le visuel – malheureusement. Après une longue respiration, comme pour contrôler tous les flux émotionnels pouvant le traverser, il récita son discours méthodiquement rédigé tout en gardant l'air le plus naturel possible. Professeur Luny lui avait confié qu'aucun discours n'avait jamais été naturel et spontané. Tout se jouait sur la manière de le prononcer, en invitant par exemple l'auditeur dans une atmosphère amicale et non robotique. Et bien qu'il eût révisé son discours plus d'une centaine de fois, tout moment représentait une occasion pour le peaufiner. Le temps n'était toutefois pas illimité, ce qui l'empêcha de finir proprement sa petite révision improvisée.
- « En place ! » Se faisait entendre Lieutenant Wining.
Sans se faire prier davantage, les officiers quittèrent leurs compartiments et le rejoignirent au hall du dortoir, selon l'ordre habituel. Chahan était déjà au garde-à-vous, ce qui surprit légèrement son compagnon, se plaçant à sa gauche. Tous arrivèrent prêts relativement rapidement, bien qu'Ivak traînait des pieds derrière d'un air mauvais et ronchon.
- « Vous le savez déjà, Frater sera présent. Vos yeux n'auront pas la possibilité de le voir, mais lui vous scrutera sous le joug de Mater, commença le lieutenant d'un ton religieux et dur. J'attends de vous un comportement irréprochable et un respect sans fin pour notre frère. Montrez-lui que vous êtes digne de son amour, que ses actes n'ont pas été vains. Montrez-lui ce dont vous êtes capable, que votre cœur ne bat pas sans raison ! Mais, si l'un de vous venez à le décevoir... »
Il s'arrêta un instant, analysant chaque visage, chaque expression de son œil de lynx. Prenant une nouvelle inspiration, comme si son esprit s'éprenait d'un nouveau drame, il reprit son discours.
- « Non. Si l'un de vous venez à me décevoir, il se verrait attribuer la plus belle des récompenses. Je prie Mater que votre bon sens soit au rendez-vous ! assena-t-il, menaçant.
- Oui, Lieutenant ! » Répondirent-ils en chœur, sincères.
Il marcha le long des rangs, vérifiant l'accoutrement de chacun des officiers. Lançant un regard approbateur à Nolan, il sembla toutefois mécontent de la nonchalance de certains autres. Arrangeant le col de Michel et les manches de Samuel, il s'arracha, peiné, à son perfectionnisme sans fin pour se diriger vers la sortie – le but n'était pas d'être en retard. Il fut suivi à talon par l'escouade n°24, confiante, portant en son sein le majorant et le meilleur des lieutenants.
Rejoignant la file, tous se dirigeaient à présent vers la salle des paroles, celle-ci ayant vu les plus importants congrès et les plus grandes personnalités. Elle se trouvait au bout du canal et avait une architecture particulière. Souvent plongée dans l'obscurité, elle cachait de magnifiques moulures dorées représentant, le long de ses murs, l'histoire en pleine écriture de la nation de Mater. On pouvait admirer Natura Mater, mère nature, mourir des mains des anciens hommes, eux-mêmes guidaient par la suite par Frater, leur frère, vers le repenti et le pardon afin de servir la nature jusqu'à sa flamboyante renaissance. À sa porte était forgé en son centre en argent, de manière simpliste, le symbole de la nation : une magnifique femme de végétation, à la forme humanoïde, portait de ses mains la terre, permettant au globe son équilibre dans le monde. Ses yeux tenaient une expression particulière, mêlant fierté et crainte. Sa chevelure, fleuve enveloppant la planète bleue, scintillait religieusement. Enfin, ses lèvres entrouvertes semblaient susurrer quelques mots doux aux hommes sourds.
Tout en voyant les dernières escouades gagner la file au fur et à mesure de leur avancée, l'officier n°0817 tenta de se concentrer sur le discours qu'il devait faire à la fin de la projection. Cette tache lui tenait énormément à cœur et, tout comme l'avait entrepris Wining à son âge en tant que majorant, il voulait suivre les pas de son modèle. Il se devait d'être irréprochable, autant pour lui-même que pour le frater qui lui avait, dans toute sa gentillesse, offert cette opportunité. Pourtant, malgré l'intérêt qu'il y portait, son esprit était tout à coup embrumé par un semblant de stress, l'empêchant de se concentrer réellement. C'était une sensation qu'il n'avait vraisemblablement jamais vécue – Il réussissait tout ce qu'il entreprenait, cette tension lui était donc inutile. Étrangement, il eut l'impression un court instant où son inquiétude soudaine survenait d'un évènement d'une autre nature que la crainte de l'échec.
Perturbé, il regarda autour de lui l'éventuelle cause titillant son sixième sens. Il n'y avait au premier abord rien d'inhabituel - les officiers mouvaient dans une chorégraphie maîtrisée. Le gouffre sombre de la salle des paroles engloutissait chaque homme le franchissant. Le ciel factice était d'un bleu éclatant. Il crut avoir halluciné, ou être assez perturbé par le fameux discours pour être troublé de la sorte, mais cette explication n'était pas suffisante. Après tout, il était n°0817, pas un poltron tremblant dès la première étrangeté. Faire confiance à son instinct était une règle d'or des Rimor.
Il eut raison de ne pas douter de son flair. Rien ne semblait différent, car rien ne l'était. La source de cette étrangeté n'était l'être qu'il avait soigneusement flouté de sa vue, son jumeau – ou plutôt le bruit qu'il émettait. Ce n'était guère ressemblant à l'usuelle cacophonie du Canal, dû aux pas sonores du troupeau. Mais cette chose se distinguait au creux de l'oreille de Nolan de manière si limpide et claire qu'il ne pouvait feindre l'ignorance.
Un bracelet.
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Mater
Science FictionIls disent que Mater est morte. Que la vie se meurt. Que la vie est impossible à l'extérieur. Sous-terre, aux ordres de Frater, tout fonctionne selon un système dont les engrenages furent soigneusement étudiés. Pourtant, il semblerait que quelques r...