La brunette vacillait doucement le long du grand fleuve noirci par les étoiles, chacun de ses pas raisonnait contre le macadam de pierre dont était habillé le triste sol alors qu'elle tendait à enjamber ces barrières de métal froid qui entravaient son chemin vers l'eau glacée de la Seine. Ses larmes reflétaient la Lune, ses yeux les comètes timides qui déchiraient le ciel, ses pensées semblables à des constellations moribondes et son cœur, semblable à Vénus, s'apprêtait à laisser place à Mars. Elle avait dans sa main un sautoir orné d'un camée de bronze, ce bout d'alliage sans grande valeur était pourtant la dernière chose à laquelle elle se raccrochait. Elle s'y raccrochait si fortement qu'elle l'avait brisé, une nouvelle fois. Une nouvelle fois elle avait brisé son ange. Sur ce camée figurait le portrait de cet ange, son défunt fils, Máni, dont la vie fut brève. Les marchandes d'amour ne peuvent guère être mère, alors elle fut obligée, en dépit de son amour pour son nourrisson, d'éteindre les battements de son cœur à l'aube, après l'avoir bercé tendrement toute la nuit au rythme du requiem de ses larmes et de ses douces paroles. Malheureusement, le contact de l'oreiller contre ses petites joues l'avait réveillé, il avait hurlé et pleuré encore et encore jusqu'à ce qu'un grand silence, adoucit par les sanglots de la brunette tenant son enfant au visage bleui dans ses bras qui rendait ses derniers soupirs, prit place dans une des chambres du lupanar. C'est alors qu'elle profita de ses derniers instants de vie pour le bercer à nouveau en lui frodonnant des airs comptines ternies par la culpabilité qui la rongée quand elle regardait les jolis yeux verts de son bébé qui perdaient un peu plus leur éclat seconde après seconde. Elle regarda la mélancolique voûte céleste qui était miroité dans la houle de ses pensées et dans celle du fleuve,puis ses mains, ses jolies mains de soies, ses même mains qui lui brisaient un peu plus le cœur à chaque fois qu'elles se posaient sur un nouvel homme, elle n'en pouvait plus, elle s'écœurait. Comment un homme avait-il pu détruire une si jolie jeune femme en usant seulement de mots doux et de tendresse ? Cette muse du peuple n'était plus qu'un vulgaire corps destiné à essuyer la crasse et les désirs de ce monde depuis qu'il l'avait laissé. Il l'avait laissé après avoir appris la naissance de son fils.
"Un avorton de la sorte ne peut guère voir le jour. Nous ne sommes rien et encore moins des amants, tout n'est qu'affaires entre nous deux, kultaseni" lui avait-il presque craché. Lorsque la belle avait chercher à le contacter pour lui apprendre le décès du nourrisson, espérant retrouver celui qui la faisait sentir vivante et un peu plus qu'une simple fille de joie, elle le trouva dans un bordel, embrassant une courtisane de la même façon qu'il avait fait avec elle, avec le même regard, les même sourires, les même surnoms. Les battements de son cœur étaient rapides et irréguliers, les larmes, elles, étaient frénétiques. Elle avait passé la journée à errer dans Paris après voir vu cet horrible spectacle se dérouler sous ses yeux impuissants pour enfin, se trouver ici, après avoir attendu que le crépuscule gagne la capitale du pénible Amour.
Sa bonne étoile dans la main ainsi que dans le cœur la consolait partiellement cependant guère assez pour lui ôter ses projets morbides du crâne. Personne ne la cherchera quoiqu'il arrive, les suicides de catins, car oui, c'est tout ce qu'elle était, étaient fréquents alors à quoi bon ? À quoi bon être l'exception qui confirme la règle ? Ses jambes escaladèrent machinalement les clôtures de fer, elle en avait assez, sa vie ne rimait à rien et ne vallait plus la peine d'être continuer. La brunette laissa encore quelques larmes brûlantes s'abattrent sur son décolleté avant de se jeter dans le cour d'eau glacé qui s'offrait à elle. Son instinct de survis lui ordonna d'essayer de nager vainement mais ses poumons noyés eurent raison d'elle. Son corps, ses muscles se relachèrent, son pouls se mit à ralentir. Elle vit les firmaments nocturnes, l'astre infernal qu'était la lune, une dernière fois avant de d'emporter avec elle, les lueurs célestes de ces cieux.
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Selvmord.
Historical FictionL'amour, le grand, le douloureux, celui qu'on ne nous raconte guère dans les contes, peut venir à nous injustement. Qui est l'infâme archer qui ose ne tirer qu'une seule flèche ? Qui ne massacre que le cœur d'un des deux malheureux qui se croisaient...