pluie, surprise et un vélo

8 1 0
                                    


 Chaises qui grincent, tableau qui s'efface, sourires qui se libèrent, ça y est ce fichu jeudi treize avril touche à sa fin. Ni une ni deux, elle aussi se relève de son tabouret loin d'être confortable. Les marches volent sous ses pieds, elle n'attend que son café au lait, son bon vieux bouquin, et l'odeur de ses fleurs. 

-Adèle ! Des pas raisonnent dans son dos, une tête brune essaie de doubler le troupeau de lycéen descendant l'escalier. Aurore. Elle joue des coudes, arrivée en bas elle la rejoint.

-Tu as vu comment il pleut c'est hallucinant, tu veux que je te ramène ? Ses iris scrutent celles d'Adèle, elle attend, qu'elle lui réponde. Mais non, non Aurore tu ne la ramèneras pas, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne elle n'a jamais loupé un soir au café depuis dix ans.

-Non non c'est gentil mais ma mère viendra certainement ne t'en fais pas. Elle lui fais un clin d'œil pour essayer de la convaincre mais son air dubitatif lui montre qu'elle n'a pas réussi, cependant Aurore ne dit rien, lève les yeux au ciel. Elles sortent de cette prison d'éducation et enfin Adèle voit les cieux, ou plutôt d'épais nuages noirs qui tapissent le plafond céleste. Son amie lui lance un dernier regard pour être certaine qu'elle n'ait pas changé d'avis et elle disparaît, aspirée par le rideau de pluie, devant la cycliste en herbe. Ce n'est pas une averse qui va l'arrêter, Adèle ira au café. Elle détache son vélo de son poteau et s'enfonce dans la "tempête". 

Dés les premiers mètres, l'eau s'infiltre par sa veste, elle sent sa fraîcheur sur sa peau. Elle n'est pas une adepte de la pluie, mais des averses elle en a connu des bien pires. Et de toute manière le port n'est qu'à un kilomètre du lycée. Alors, elle roule, elle roule jusqu'à son repère qui, tout doucement apparaît dans son champs de vision. 

L'odeur du vieux café moulu vient caresser ses narines, elle y est, ses cheveux dégoulinent, son mascara ne doit plus être en place et l'eau ruisselle dans son cou, mais bon sang qu'elle s'en fiche. Elle pousse la porte, les sons familiers de la bouilloire et des chaises qui craquent sur le parquet la font sourire.

-Adèle, ma pauvre, tu es venue. Gaël l'observe et semble prendre peine de sa petite personne il lui tend son plaid des jours de pluie. Elle se retourne alors, pour aller à sa place, mais, elle est occupée. Et c'est bien la première fois qu'une telle chose se produit, personne ne prend la place d'Adèle, c'est comme ça . La jeune fille arque un sourcil et se retourne vers le gérant du café, qui désemparé fuit vers les cuisines. Elle soupire et s'avance vers sa table qui aujourd'hui ne l'est pas. Adèle se demande ce qu'elle va faire, dire clairement à cet intrus qu'il n'a rien à faire ici en prenant le risque de passer pour une jeune fille mal élevée, s'asseoir et faire comme si de rien n'était ou carrément prendre une autre table. 

Adèle n'est d'ordinaire ni méchante ni sournoise mais là il s'agit de sa place au café, alors c'est sans gêne qu'elle s'approche de son coin. L'intrus étant de dos; elle n'a pu imaginé ni son âge, ni si son visage, elle qui préfère savoir à qui elle à affaire. 

-Bonjour. C'est un jeune homme dans les mêmes années qu'Adèle, grand avec de jolies boucles noires. 

-Bonjour, je peux m'asseoir ? La voix de la jeune fille se veut assurée mais elle a si peur de paraître impolie que les sons qui sortent de sa bouche sont à peine audibles, de plus, le café est loin d'être plein, des places il  y en a, à la pelle. Le jeune homme sans nom semble cogiter quelques secondes, sourit, puis hoche la tête. Adèle bafouille un "merci" et prend la chaise face à ce voleur de fauteuil.

Les minutes passent, elles sont silencieuses, seul Gaël a brisé ce vacarme muet, avec dans les mains la tasse fumante d'Adèle. Le garçon a devant lui, un grand verre de limonade, à en juger par les bulles qui pétillent et l'odeur de citron qui s'échappe de sa boisson. Le jeune homme tourne les pages d'un carnet aux bords jaunies, notre curieuse Adèle essaie de voir de quoi il s'agit avec plus ou moins de discrétion. Les deux ne se parlent pas, il continue sa lecture comme si personne n'était face à lui, quant à elle, elle a sorti son recueil de poème mais elle ne fait que survoler les lignes. Elle est remontée mais surtout intriguée par ce garçon sorti de nulle part, qui manifestement n'a jamais mit les pieds ni dans son café, ni dans le village, ni dans la région d'ailleurs. 

Vers dix huit heure, il repli son carnet et enfin, semble réaliser qu'une jeune fille se tient devant lui, il incline la tête pour voir le nom du livre d'Adèle puis range ses affaires et fourre le tout dans un sac eastpack délavé. Toujours en silence il se lève et sors de son repère, non sans un "au revoir" à l'intention de Gaël. 

Adèle peut enfin souffler, qui était-ce ? Un nouveau dans la région c'est certain mais qui ? Gaël hausse les épaules en la voyant s'interroger. Elle va devoir rentrer chez elle car l'heure se fait tard, elle n'a même pas pu profiter du café ce soir. Quand elle ressort la pluie a cessé, durant tout le trajet elle rumine, elle qui voulait souffler après son bac blanc d'anglais elle n'a même pas pu parler avec ses pivoines.

-Ça va Adèle ? Sa mère l'a certainement entendu ranger son vélo dans le cabanon et de la terrasse elle interroge sa fille.

-Oui, oui, la journée fut remplie de surprises...

Adèle monte quatre à quatre les marches, elle se repasse sa journée mais surtout ce début de soirée au café, 

quelqu'un a osé lui prendre sa place.

la voix des fleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant