Aujourd'hui il fait beau, Aurore et Adèle sont allées manger au bord de la grève ce midi. Adèle prend toujours soin de ne pas parler de son café, Aurore n'aimerait pas cet endroit . Donc Adèle n'en parle pas, quand elle passe devant pour rejoindre la plage son regard dévie toujours vers ses fleurs, sa toile de maître et son fauteuil en velours. Elle n'aime pas parler de son repère, Adèle garde tout pour elle, c'est ainsi. Ce soir, elle ira pour seize heure, une heure plus tôt qu'hier, sera t-il là ? La jeune fille se demande toujours qui il est mais surtout si, comme la veille, il lui prendra sa place ? Peut être que c'était juste un vagabond, un gars en quête d'aventure ? En tout cas ce qui est sur c'est qu'il ne connaissait pas ce café, car c'est la place d'Adèle normalement.
-Adèle ? Ici, ça te va ? Aurore vient d'interrompre les pensées de son amie en lui montrant un banc face à la mer, balayé par les alizés et battu par les flots.
-Oui, oui c'est parfait.
-Tu étais ailleurs pas vrai ? Adèle la regarde en rougissant et hoche la tête,honteuse, Et tu étais où ? La jeune rêveuse a beau se sentir mal de ne pas avoir écoutée son amie.
Le pique-nique improvisé se fini en douceur et les deux amies finissent de manger pour retourner dans leur lycée. Toute l'après midi Adèle ne pense qu'à ses pivoines qui l'attendent au café, les siennes. A cause de l'inconnu cela fait deux jours que la jeune fille ne leur a pas parlé, trop long selon elle.
Quand la sonnerie retentit à seize heure, Adèle est la première a quitté son siège. D'une bise à Aurore et d'un geste de la main elle quitte l'établissement qui la retenait. Le kilomètre passé, elle arrive à peine essoufflée chez Gaël.
-Hé, ma grande comment vas-tu ? Aujourd'hui personne n'est venu piqué ta place. Le gérant du bistrot accompagne sa parole d'un clin d'œil qu'il veut discret.
-C'était qui d'ailleurs ?
-Aucune idée. Un café au lait comme d'habitude je suppose ? Adèle ce soir, se sent d'humeur audacieuse...
-Non, une limonade...Elle se dirige vers sa table et s'installe, dans son fauteuil de velours, devant ses fleurs.
En attendant sa boisson la jeune fille raconte ses dernières aventures aux pivoines blanches muettes. Quand elle vient à parler de son bac blancs d'anglais, son regard est attiré par un anorak bleu marine qui semble flotter dans l'air de ce vendredi d'avril. L'anorak se déplace tel une fée dans le vent, il déambule doucement sur le port, passant de droite à gauche des passants. Ses écouteurs dans les oreilles, l'anorak danse avec la brise du début de printemps. Elle est trop éloignée pour pouvoir distinguer le propriétaire de ce manteau de pluie.
Adèle est curieuse, d'autant plus que le jeune homme s'approche dangereusement de son repère. Et bien sur, elle a une idée sur ce type au blouson d'eau. Le-garçon-sans-nom. Celui d'hier, un sourire de triomphe se dessine sur les lèvres de la jeune fille : elle est la première. Il ne prendra pas sa place ce soir, non elle a gagné. Cependant, le garçon ne semble pas la voir derrière la vitre du café. Il pousse la porte et Adèle plonge sa tête dans les fleurs, de peur d'être surprise en pleine observation. Le jeune homme commande, Adèle écoute le moindre de ses gestes. Des pas font craquer le parquet vernis, Adèle est de dos, elle n'ose pas se retourner.
-Bonjour, je peux m'asseoir ? Une lueur de malice vient illuminer les yeux du garçon-sans-nom. Sa question est simple pourtant Adèle peine à faire sortir ne serait ce qu'un mot de sa bouche. Elle bégaie un simple "oui bien sur", elle est bien trop étonnée par la spontanéité du jeune homme. Il réitère son geste d'hier, être à sa table. Il s'assoie en silence, comme la veille il ressort son carnet aux bords jaunis.
Mais ce soir, il ne l'ouvre pas, non, il regarde Adèle. En fait, les deux se regardent, d'extérieur on a l'impression d'assister à un vieux scénario à l'eau de rose, mais c'est étrange dans la vraie vie. Adèle ne sait pas vraiment quoi faire, continuer de l'observer devient de plus en plus compliqué, il la trouble. Jamais elle ne s'est retrouvée dans une telle situation.
-Flippant hein ? J'aime bien intimider les gens, mais tu sembles pas être déstabilisée...Adèle ouvre grands les yeux et baisse -enfin-ses prunelles sur ses pivoines.
-Plutôt, oui. Le garçon rigole devant la réponse d'Adèle.
-Je m'appelle Odin, je t'interdis de te moquer, je le sais que c'est ridicule.
-Adèle, et je trouve ton prénom tout à fait joli. Cette fois ci c'est elle qui glousse pour masquer sa gêne. Du haut de ses lunettes, Odin la regarde et s'apprête à répliquer quand la jeune fille l'interromps.
-Pardon d'avance pour ma curiosité mais t'es nouveau dans le coin ?
-Très bonne observatrice, oui je viens des montagnes moi, mais comme mon père a été muté me voici à la mer. Ça change...
-et ce café comment tu le connais ? Parce que pour un touriste il n'est pas facile à trouver...
-Encore une fois ton don d'observation m'étonne, il rigole, corne une des pages de son carnet et reprend, c'est le point de rendez vous de mon grand père et de son club de bridge, ils viennent là pour jouer, enfin en journée quand aucun de nous n'est ici.
-Et tu voulais savoir ce qu'il valait.
-Exactement.
-Et alors, satisfait ? La jeune fille attend patiemment une réponse, si elle est négative alors la jeune fille se chargera elle même de le sortir d'ici à coup de pieds au derrière. Après une ou deux secondes de silence Odin reprend la parole :
-C'est authentique, tout ce que j'aime, l'atmosphère est enivrante, je suis pas déçu et je comprend pourquoi mon grand père adore cet endroit, il est comme figé dans le temps, les fauteuils semblent bloqués en période d'avant guerre, les peinture paraissent fraîches alors qu'elles datent certainement de plusieurs décennies, voire de siècles. Non vraiment j'aime beaucoup ce café je compte en faire mon repère. En plus on y fait des rencontres hein mademoiselle, c'est ton repère aussi si j'ai bien compris, hier j'ai cru que tu allais m'anéantir.
La jeune fille se crispe et baisse les yeux sur le carnet d'Odin, la honte s'empare d'elle. Mais la rivalité s'insert peu à peu dans tout son être, il veut en faire son repère. Et ça c'est inacceptable. C'est son coin il ne peut pas débarquer ainsi et décréter ça. Elle relève donc la tête et comme la veille son regard assassin a marché, elle tente de le refaire, en vain. Odin l'observe, aucune once de compétition ne réside dans ses prunelles noires.
-Pardon, je l'ai refais, c'est immature, mais ce café c'est mon coin de paradis alors, je le défend comme je le peux... Odin souri puis prend une des fleurs devant lui pour jouer avec ses pétales.
-Ne t'inquiète pas, je ne suis pas là pour te le voler mais, disons, pour le partager.
C'est alors qu'Adèle comprend, ils viendront ici, tous les deux, tous les soirs. Cette nouvelle a bouleverse, il n'est pas hostile mais elle ,'était pas préparée. Il sourit du coin des lèvres, espère une réponse favorable. L'enchevêtrement de ses pensées ne parvient pas à se démêler. Odin semble le deviner, ses lèvre s'étirent alors.
-Je serais pas trop encombrant et on ne fera que se croiser.
Il se veut rassurant, l'effet qu'il produit en elle est positif. Elle relâche peu à peu la pression pour finir par acquiescer timidement.
Désormais, le café sera rempli d'une nouvelle âme.
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la voix des fleurs
Contoécoutez, écoutez, c'est la voix des fleurs celle que seul Adèle semble entendre.