Chapitre 3: Highway from Hell

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Assise sur la terrasse de notre maison, je regarde le soleil se lever. Je plisse les yeux lorsqu'il émerge enfin et un frisson traverse tout mon corps. Je n'ai pas dormi de la nuit, mes cauchemars revenant me hanter. D'énormes cernes me tirent les traits et ma peau pâle me donne un air de zombie. C'est dans cette position que me trouve mon père à 7h.

"Eeva? Tu ne te prépares pas pour le collège?

- Si si, je voulais juste profiter du lever de soleil.

- On part dans une demi-heure, il faut que tu te dépêches, soupire mon paternel.

- Oui je fais vite...

- Ah, au fait?

- Qu'est-ce qu'il y a? dis-je en me retournant brusquement.

Je suis content de t'entendre de nouveau parler"

Dans la voiture, seule la musique diffusée par la radio brise le silence qui y règne. Je ne parle pas, trop tendue par cette rentrée trop redoutée. Et mon père n'ose pas parler devant mon mutisme. Ce dernier me souhaite bon courage, puis me laisse entrer dans l'établissement avant de s'en aller. Ma boule au ventre est déjà si grosse que j'ai l'impression qu'on ne voit que ça. Mais je prends sur moi, traverse la cour pour rejoindre mes amies, assises sur notre banc habituel. L'absence de Lisa me pèse plus qu'au cimetière et je sens les larmes me monter aux yeux. Heureusement, la sonnerie vient interrompre notre supplice.

"Eeva, murmure Vanessa, sois forte, on est avec toi d'accord?"

J'acquiesce lentement. Je me sépare d'elles pour me diriger vers mes camarades de classe.  Comme nous avons sport, nous attendons notre professeur sur l'emplacement dédié à la discipline. Le professeur arrive et, au lieu de nous amener au gymnase, nous dirige vers une salle de classe. Cette dernière se remplie lentement avant de voir entrer le principal, son adjoint et l'assistance sociale. La boule dans ma gorge triple de volume.

"Comme vous devez le savoir, un tragique incident c'est produit pendant les vacances, débute le principal du collège, votre camarade Lisa a péri dans un incendie. Pour certains, elle était une camarade mais pour d'autres.... Elle était une amie chère."

Je n'ai pas besoin de lever la tête pour savoir que les regards des autres sont posés sur moi. Je sens une larme rouler sur ma joue... J'avais promis... J'avais promis de ne pas pleurer. Mais c'est trop dur.

"L'assistante sociale reste à votre disposition. Elle vous aidera dans votre deuil."

Mon coeur pleure.... Je pleure encore et encore et les larmes ne cessent pas de couler. Comme je suis au fond de la classe, personne ne le remarque. Sauf la personne que je ne voulais pas.

Baptiste. Je le connais depuis la primaire et pas une année nous n'avons pas été dans la même classe. C'est un supplice de l'avoir avec moi et j'attends avec impatience notre passage au lycée.

"Qu'est-ce que tu veux Baptiste, demande le professeur, me sortant de mes pensées.

- Je crois qu'une élève aurait besoin de soutien au fond de la classe...

- Eeva, tout va bien? dit l'enseignant en s'approchant de moi.

- Ça va aller Monsieur.... Je vais bien.

- Mademoiselle Eeva, je crois que vous devriez voir ma collègue. Prenez le temps de soufflez avant de retourner en cours. Votre état ne vous aidera pas à sortir sans blessure de votre cours de sport, m'ordonne plus qu'il ne me conseille le proviseur.

Très bien."

Pendant que mes camarades se dirigent vers le gymnase, je suis la psychologue dans son bureau. Je m'assois face à elle et accepte les mouchoirs qu'elle me tend.

"N'en voulez pas à votre camarade, il se fait réellement du soucis pour vous, commence gentiment l'assistante.

- Je ne sais pas s'il se fait du soucis pour moi mais je n'aime pas être le centre de l'attention, rétorquais-je

- Alors pourquoi étiez-vous en train de pleurer au fond de la salle si vous n'aimez pas être le centre de l'attention ?

- Simple logique, je suis dévastée car j'ai perdu ma meilleure amie et que je n'arrive pas à enfouir ma douleur.

- Vous ne devez pas l'enfouir mais l'évacuer car elle risque de ressurgir plus forte un jour ou l'autre, me conseilla mon interlocutrice.

- Facile à dire, mais beaucoup moins à faire... J'ai perdu l'usage de la parole pendant un petit moment ces vacances-ci... Sûrement le choc émotionnel que sa mort m'a provoqué. Mais voyez-vous ce n'est pas le plus compliqué : sans cesse des cauchemars viennent troubler mon sommeil, chaque nuit je la vois si vivante que ça en est irréel...  J'ai tellement redouté cette rentrée, et je veux juste oublier la douleur, oublier cette souffrance, ce vide... Je veux juste me réveiller.

- La perte d'un être cher n'empêche pas la douleur d'être forte, mais la perte d'un enfant la rend encore plus tragique. La mère de votre amie a perdu sa fille, la chair de sa chair. Vous ne pouvez pas aller bien après seulement une semaine. Vous pouvez effectuer votre travail de deuil mais laissez-vous le temps, conclut la femme en face de moi, si vous avez besoin d'extérioriser, je suis là pour ça, n'hésitez pas à venir me voir.

- Je m'en souviendrais.

Les psy et leurs analyses me donnent envie de gerber. Ce n'est pas avec 3 mots et une prière que les choses vont s'améliorer. Je déteste lui donner raison mais le temps va être mon plus grand allié. Pour le moment, je ne peux compter que sur mes amies et ma famille pour ne pas sombrer dans la dépression. Je n'apprécie guère les gens de ma classe et même s'ils compatissent, ils ne connaîtront jamais cette douleur qui vous déchire et vous éparpille.

Je me dirige vers le gymnase où notre cours de sport est censé se dérouler. Je ne veux pas voir la pitié des autres et surtout pas de lui. Je me glisse aussi vite que possible dans les couloirs pour rejoindre le vestiaire des filles. Une fois assise sur un banc, j'écoute les voix de mes camarades qui me parviennent depuis le terrain. Dans la tête posée sur les genoux, je n'entends pas mes camarades rentrer et se pencher vers moi. Tout se brouille et ma dernière vision capte des yeux bleus de l'autre côté du gymnase. Baptiste.

Ce que la Vie m'a prisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant